MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19570713 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

La Motte-Beuvron, 13juli 1957

La Motte-Beuvron le 13 juillet 1957.

Cher Miaw, chère Théa, chère Odile,

Après bien des tribulations je reprends une page blanche pour vous faire suivre les chemins que j'ai parcourus. Oui, Thys tu as vu juste en pensant que j'avais quitté mon travail et il y a de cela assez longtemps, à la mi-mars. Tu sais sans doute que je n'aime guère parler d'une question sans en voir la solution. Après cette période de tâtonnement que j'aime bien supporter seul je me plais maintenant à jeter un coup d'œil en arrière. Non que toutes les difficultés soient aplanies, loin de là. Mais que maintenant un courant d'eau claire circule et entraine le joli poisson hors de la vase, on ne peut en douter.

Ce n'est pas par ma volonté que j'ai quitté Caritas et sa croix vétuste au-dessus de sa porte. A la suite d'une différence de vues on m'a proposé mon départ. Je l'ai accepté. J'avais l'intention et le devoir, au moment où Janine arrêterait son travail de changer de situation. S'en est suivie une longue recherche avec les difficultés que vous pouvez imaginer. J'ai pensé à que tu m'avais dit Thys que le domaine de la photographie pourrait m'être favorable. Rien ne s'est engagé de ce côté. Et puis un soir une émission de télévision est venue me montrer une voie. C'est celle qui fait l'objet de cette lettre que vous connaissez celle qui est à l'origine de ma présence à La Motte.

Car en bonne royaliste sentimentale qu'est Janine, l'arrivée d'Elisabeth d'Angleterre (on ne parle pas du duc bien sûr) avait provoqué l'entrée dans le home de la boite à images. Nous nous essayions à cette distraction par la location d'un poste pour trois mois. Disons tout de suite qu'il nous a quitté maintenant sans regret. Ce fut un bon compagnon qui nous permit à peu de frais de faire un tour du monde dont nous nous rappelons avec plaisir. Notons aussi en passant qu'en général la télévision française est sérieuse [−] souvent intelligente [−] ce dont se plaignent assez beaucoup de français. Dominique, Josquin même, Clarisse, Norbert se sont bien amusés devant cette boite qui trônait sur le piano.

Bref, une documentation sur ce qu'est l'éducation surveillée des jeunes délinquants et un appel à ceux que la profession pouvait intéresser a fait que je me suis mis en relation avec le Ministère de la Justice. Ça a été un peu lent puisque nous voici au mois de Juillet et qu'il n'y a encore rien de matériellement assuré mais je m'engage avec confiance sur cette voie qui me plait énormément. En ce moment je fais un stage "probatoire" dans ce centre de La Motte. Je suis là pour un mois nourri par la communauté pour voir si je leur plais et si je m'y plais.

Auparavant à Vaucresson j'ai subi des examens psychologiques et médicaux dont les résultats seront connus fin juillet. Il est très intéressant de se livrer à ces examens, vous pouvez le penser. De se soumettre à différents tests ayant pour but de découvrir la personnalité, l'intelligence, on arrive selon des techniques bien définies à une tribulation énergique de l'âme pendant une journée. Cela consiste pour beaucoup à répondre avec sincérité bien sûr à des centaines de questions très différentes d'ailleurs telle que aimez-vous le brouillard? aimez-vous monter sur un toit? Que pensez-vous de l'égalité des races? Pensez-vous que l'énergie atomique apportera le bonheur de l'humanité? et tant d'autres. Chaque exercice est séparé d'une autre par la vue projetée sur un écran de 48 visages parmi lesquels nous devons noter les douze plus sympathiques & les 12 plus antipathiques. Ceci 7 fois au cours de la journée et 7 fois les mêmes 48 visages. On demande évidemment de bien se garder d'un exercice de mémoire, mais de noter spontanément l'impression faite au moment de la présentation qui dure assez peu d'ailleurs. J'ai été assez épuisé par ce travail mais j'en ai ressenti une immense impression de bien-être. J'ai passé les exercices d'imagination tels que lire sur les tâches d'encres et les dessins d'arbres aussi que vous connaissez sans doute. La deuxième journée fut l'examen médical précédé par une récapitulation des exercices de la veille. Un psychiatre nous voyait séparément pendant une dizaine de minutes. Il m'a demandé ce que je pensais de la prostitution. Je lui ai dit que c'était un fléau qu'il fallait s'attacher à faire disparaître. Sur l'égalité des races je lui dit mon a probation. Quant aux moyens pour y parvenir j'ai cité l'expansion du système éducatif le plus vaste possible et le plus efficace possible pour que tout être puisse arriver à meilleure connaissance de soi-même et des autres. Dans le cas d'un refus des populations à vouloir accéder à des niveaux supérieurs, j'ai préféré défendre la position de l'homme qui propose et ne cesse de proposer plutôt que celle de ceux qui imposent. Et si d'autres prennent votre place, mieux vaut alors se retirer. Voilà un beau défaitisme n'est-ce pas? Pour le soutenir je pense que si on se heurte au refus c'est que la proposition a été mal faite. Et dans le désir de renouveler mes propositions je trouve l'ardeur du combat. Quant à ceux qui veulent prendre ma place par d'autres moyens, si l'on pense à ce moment que les choses tournent au mal, je crois que le mal est du côté de celui qui prend la responsabilité de cette place.

Il en a conclu que cet idéal d'égalité devait être un travail de longue haleine. L'histoire du monde est-elle faite autrement?

De toutes leurs questions j'ai rayé comme me faisant horreur celles ayant trait à l'armée, à l'épée tuer, mais j'ai relevé celles qui parlaient de soigner [−] faire des pansements [−] être médecin. J'ai admis aussi l'idée de hiérarchie, de servir son pays, et vraiment j'ai quitté ce château avec l'impression d'une conscience satisfaite!

C'est dans un autre château que je suis maintenant [−] un rendez-vous de chasse de Napoléon au milieu de cette belle Sologne. Forêts de pin, peupliers, chênes magnifiques, pièces d'eau, tout un décor enchanteur. Je suis arrivé dans ce domaine par une très belle route aussi entre Provins et La Motte. Celle qui passe par Moret là où se trouve "mon" cadran solaire. J'ai fait un petit détour de quelques minutes pour le revoir! Il m'a fallu huit heures en selle pour traverser ce cœur de la France. C'est vous dire que ce fut une belle promenade. J'aurais bien voulu la partager avec Janine mais nos moyens ne nous l'ont pas permis. L'essence est devenue très chere. Dominique et Josquin sont restés avec elle à Châteaubleau où pendant les semaines précédentes j'ai tâché de remettre l'intérieur de la maison dans un état plus agréable - lessivage grattage de mur, peinture tout cela était dans un état pitoyable. Ciments, plâtres, bien entendu au paravant et maintenant il y a au moins une pièce agréable dans cette maison. A Paris mon emploi du temps fut concentré sur une véritable résurrection de Cabri qui hélas était menacée d'un écroulement fatal. Malgré des moyens assez réduits j'ai réussi cette opération et nous avons pu depuis aller à la communion de la filleule de Janine à Douai. Là bien sûr nous avons rendu visite à Roland que nous avons surpris dans sa petite vie heureuse de Province. Après quelques heures passées ensemble nous avons repris la route vers Châteaubleau avec la grand-mère de Dominique. Pendant tout ce temps le soleil la chaleur ne nous a pas quitté. Les enfants ont pris quelques coups de soleil sans gravité, ils poussent à plaisir dans la belle herbe de la cour.

Mon travail pour l'instant consiste à contempler, assister â la vie d'un groupe d'une vingtaine d'élèves de ce centre. Au lever, à la toilette, au ménage au repas à leurs ébats en pleine nature, mais pas leur travail pour l'instant. Les distraire, apaiser leurs disputes, organiser leurs jeux voilà matière à propositions! Ces jeunes ont entre 15 et vingt ans. Je me plais bien dans ce milieu après une semaine. Voyons voir la suite...

Je souhaite que Théa ait pu se reposer et reprendre des forces maintenant, la belle saison va opérer. Miaw ta lettre d'anniversaire m'a fait bien plaisir et je la relis souvent. Oui je suis content et je pense souvent à vous. Lorsque j'étais à Douai j'ai été à deux doigt de vouloir passer le 7 Juin à Laren. La raison a été plus forte. Je me suis éloigné en pensant à un bonheur plus grand que je souhaite tant pour toi: te savoir paisible et créant. Je t'aime aussi comme ton fisto

Donald.

Le 8 juillet alors que j'étais sur la route j'ai fêté l'anniversaire de ce beau jour inoubliable de l'an passé. Je joins un brin de bruyère celle qui m'accueillit en So[log]ne. Bons baisers à tous