MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19490110 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

Parijs, 10 januari 1949

Paris le 10 Janvier 1949

Cher Miaw, chère Théa,

Voici de nouveau un lundi où avant de commencer ma semaine il faut que je vous écrive pour vous raconter un peu ce qui s'est passé au début de cette année.

J'ai bien reçu ta lettre de la semaine dernière. Elle m'a fait une si grande joie. Te voir dans une si grande activité avec un tel dynamisme et avoir encore le temps d'écrire une si longue et belle lettre à ton "coco"!

Oui réjouis-toi tranquillise-toi je passe, nous passons en ce moment une bonne période où nous avons l'impression de tenir à la source la belle source bénie du bonheur intérieur en harmonie avec les grandes les belles lignes. Le rappel, la réjouissance, la fête de la Nativité, Noël, je veux dire, a créé en nous une heureuse euphorie et si notre arbre a perdu beaucoup de ses aiguilles, Clarisse tous les matins ne le salue pas avec moins de joie qu'au premier matin en le montrant du doigt et lançant son "da!" triomphateur plein d'extase. Et en nous les parents la joie résonne encore. Nous n'avons pas l'occasion d'écouter une bonne symphonie mais ça fait un peu le même effet. Donc merci aux hommes d'avoir institué ces fêtes qui ont un fond pareil à celle que nous venons de passer. Pour les autres, ma foi, merci aussi car quand on passe 49h de bureau par semaine on sent l'approche d'une fête avec plaisir (qu'elle est un fond ou pas...) pour les jours de congé naturellement. C'est la première fois que [je] m'aperçois de cette façon qu'une fête bien fêté a son attrait son but dans une vie comme la nôtre. Quoique toi Miaw tu n'aies jamais aimé ça, je te le dis.

Enfin cette béatitude qui nous entraine à reprendre le travail après ces événements repose beaucoup sur du matériel et ce matériel c'est bien grâce à vous que nous l'avons eu. Je vous en remercie du fond du cœur. Sans vous nous serions dans une mauvaise passe. La semaine dernière j'ai reçu 100 florins envoyés par une banque de Rotterdam que je me suis empressé d'aller chercher. Ils sont tombés à pic pour terminer le mois.

Clarisse et Trudi ont eu une grippe et toussent un peu. Je fais tout mon possible pour les soigner mais Trudi est plus malaise encore à soigner que Clarisse. Elle est douillette comme on ne peut pas s'imaginer. Elle force bien sa fille à prendre des gouttes dans le nez mais elle ne se laisse pas faire bien sûr. Je me rappelle la fois où dans le Tyrol elle avait fait une chute à skis. Son ski fiché en terre l'avait obligé à tordre son genou. Elle crut tout de suite avoir la jambe cassée et cria le plus fort qu'elle pouvait "Doudi Doudi". Le temps de faire demi-tour, puisque j'étais devant, ce que en pleine vitesse je ne sais pas bien faire et revenir sur mes pas, ce fut encore rien que des cris. Elle s'était luxé simplement le genou qu'avec de "savants" massages je lui remis en 24h, pour rien perdre du temps si court où nous étions à la montagne. Enfin, à part ça tout va bien le soleil se montre de nouveau.

Eh, bien hier et avant-hier c'était fête. Mon vieux Roland est venu me voir pour la première fois dans mon home. Il venait de passer une semaine à Paris pour s'instruire sur la marchandise du Bon Marché dont il représente toujours les échantillons dans sa campagne de Noyon avec un succès et une ardeur qui lui sont bien naturels. Il est très satisfait de son nouvel emploi et surtout de la petite semaine passée à Paris où il a pu s'évader un peu de son trou et applaudir à l'"Auberge du cheval blanc", dont il emporte le souvenir enthousiasmé dans son trou. S'il en parle autant à Marcelle qu'à nous le souvenir vivra longtemps... Il avait très bonne mine et était très joyeux, un bon vivant en somme. Il a déjeuné avec nous et s'est beaucoup plu en compagnie de Trudi et Clarisse. Je l'ai raccompagné à la gare du Nord et les deux frères se sont vus avec la fraîcheur et le plaisir qu'ils voudraient bien voir durer plus longtemps que dans ces courtes visions. Ce fut une agréable surprise puisque nous n'en savions rien ¼ d'heure avant.

Et puis hier. Mais d'abord Roland a lu ta dernière lettre avec beaucoup de plaisir et nous avons parlé de toi, de vous, et tes bonnes nouvelles nous furent une joie commune. Au cours des quelques heures que nous passâmes ensemble je fis brûler sur le poêle quelques pelures de mandarines qu'il venait de rapporter pour Clarisse. L'odeur embaumait déjà à travers les pièces quand Roland assis à côté de moi sur le divan me demanda: "Pourquoi fais-tu brûler ces pelures sur le poêle?" Etonné de la question et loin de son sentiment je répondis tout naturellement "mais pour l'odeur bien sûr" "Mais encore?" Comme je ne savais que répondre il me dit Eh bien moi je le fais aussi pour me rappeler chez moi la bonne odeur de la Bicoque et le tendre geste de Fofo. Du sucre aussi, du sapin. Moi qui étais si loin de sa pensée, c'est pourtant aussi dans ce but pour se retremper dans le foyer bien cher de nos parents. Ce bruit de tous les cœurs réunis sous un toit que nous avons transplanté, que nous soignons avec beaucoup d'amour, de tendresse, que nous essayons de faire grandir dans notre propre foyer. Combien doux nous est cette retrempe dans le passé. C'est un culte qui a son Dieu et sa Déesse.

Et puis hier donc j'ai eu la visite du Père Christian de retour de ses quelques jours passés en Hollande et Aline avec Jacques qui lui est de retour d'Afrique. J'avais plaisir à réunir autour de notre guéridon ces voyageurs venant des quatre coins du monde y compris ma femme.

Nous avons bien bavardé pendant quelques heures où bien sûr nous vous avons évoqués. Clarisse était sage et écouta bien attentivement sa récompense "si L'Eau savait parler" qu'Aline nous chanta avant de partir. Jacques est là pour six mois et le mariage avec Aline est pour le printemps. Ensuite Jacques doit faire encore deux ans en Afrique où il emmène Aline. Voilà bien du neuf surprenant. Aline est très heureuse et la lecture de ta lettre à moi l'a beaucoup touchée, et elle comprend bien que tu n'aies pas le temps voulu pour lui écrire. Moi aussi d'ailleurs et si tu ne peux répondre tout de suite à mon bavardage je n'en penserais pas moins à toi. Seulement je voudrais bien un télégramme quand Eloi sera là. De toutes mes forces je vous embrasse et vous aide le plus que je peux.

Alors au printemps prochain je vous attends dans votre grande tournée espérons triomphale!

De bons baisers de Trudi

et de moi

Donald

10 janvier 1949

Voilà je suis arrivée à Louveciennes et avec grande joie je recommence la vie avec mon cher Donald. Mon foyer est très beau, car Donald a bien travaillé et avec beaucoup d'amour.

L'hiver vient, il fait déjà froid. Merci beaucoup pour l'argent. Nous avons du charbon maintenant et Clarisse a chaud.

Trudi