Donald en Janine Van der Meulen
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Matthijs Vermeulen en Thea Vermeulen-Diepenbrock
Dechy, 5 juli 1960
Dechy le 5 Juillet 1960
Cher Thys, chère Théa, chère Odile,
Toi avec qui j'aimais tant entendre l'écho dans la foret de Marly, toi qui nous a appris si bien à faire jouer ce phénomène, c'est toi que j'oublie depuis un mois. O quelle ingratitude de ne n'avoir pas encore fait parvenir l'écho du retour de ce beau voyage chez vous. Mais voici que venu des profondeurs de la forêt du temps, il émerge enfin et qu'à plaisir je tape dans mes mains. Comme vous vous en doutez le retour s'est parfaitement effectué: une journée à Amsterdam, tour en bateau puis pour terminer la place Waterloo où je voulais trouver une patinette "rouge". Après l'avoir achetée (pour 2 florins) nous avons fait le tour de cette place dont presque tous les marchands étaient partis. Maintenant les balayeurs allaient mettre le feu. Alors j'ai chargé la voiture tant, et plus, d'objets précieux: tapis, chaussons, casseroles, imperméables, et sur le toit un magnifique fauteuil de grand-Mère et une belle chaise de salon parmi un lot de dix que malheureusement nous ne pûmes emporter et que je vis plus tard se fracasser un camion. Je n'ai jamais eu d'aussi beaux chaussons que depuis ce voyage... Le tout était recouvert d'une bâche et arrivé de façon improvisée mais solide. Sans un heurt ni ennui notre charge et ses occupants sont arrivés mercredi soir à Dechy après une journée passée en Belgique. Le temps a été magnifique tout au long du voyage. Un seul accord en sortant de Valenciennes: Dominique avait un besoin pressant. Le derrière tout nu elle tombe dans une fossé d'orties! Vous pouvez vous imaginer les cris.
Malgré toute la charmante hospitalité dont nous fûmes l'objet, ce fut pour moi une joie de revoir notre maison que je commence à beaucoup aimer. Je fais depuis quelques temps du jardinage et tu peux imaginer qu'il est difficile de se mettre à écrire quelquefois lorsqu'il est si bon d'aller retrouver ses plantes, de leur donner à boire, de voir leur progrès. Bien sûr, mon vieux, laisse-moi reprendre ce qualificatif affectueux que tu n'aimes pas, nous y allons ensemble, tu es là derrière moi, à côté de moi j'entends tes sabots sur le sol, je te vois tirer ton râteau et ta voix résonne en moi et nous rions ensemble de ces petites bêtises, ces utopies que nous aimons bien. Tu étais là quand j'ai découvert "mon" écho dans le jardin. Tu étais là aussi quand dans ce grand champ inculte j'ai dessiné "mon" cercle. Tu étais là encore quand je mis il y a quelques jours seulement mes braves petites pommes de terre trouvées dans la rue de Douai et qui attendaient patiemment dans mon cabanon le jour de la liberté dans cet emprisonnement d'espoir. Tu étais là surtout lorsque toutes vaillantes, 24 sur 24 elles revinrent au monde, à la lumière à la chaleur. Eh, bien c'est vrai, c'est toujours vrai que ces petites plantes aient échappé à l'écrasement d'un pied d'un passant de celui d'une voiture pour revoir une fois la lumière, la chaleur du soleil, sentir la douce tiédeur des entrailles de la Mère, goûter la fraîcheur d'une eau qui vient après la journée accablante, gonfler les fibres il est vrai que cela a un sens que l'homme est dans le vrai lorsque machinalement il opère ainsi. Qu'aussi les petites lèvres goulues du jeune vison se soient trempées dans la pâtée saignante, qu'étendu après au soleil il ait attendu béatement l'assoupissement, cela a aussi un sens: c'est la glorification de la Vie, de son Créateur et de ses créatures. Que m'importe que le calendrier me dise qu'il est inutile de planter à cette époque des pommes de terre. J'ai donné à ces vingt-quatre noyaux lorsque j'en ai eu la possibilité, la possibilité à eux-mêmes de donner à d'autres, alors... Alors ils sont beaux maintenant ils poussent fièrement. Ce sont les premiers que je plante, les premiers de ma vie à moi. J'ai attendu aussi longtemps pour avoir cette joie et crois-moi j'en suis reconnaissant à la Divine Providence. Un jardin, une maison je retrouve un peu ce que lorsque tu avais mon âge environ, tu nous fis goûter. Ce verger qui s'étend là, ces voitures qui grondent sur la route, ces avions qui ronronnent dans le ciel lumineux, tout cela c'est Bas-Prunay qui renaît. Le hamac accroché au cerisier cet enfant qui se berce tout seul, le champ de blé qui ondule sous le vent c'est un recommencement –
C'est ainsi que je vais sur le chemin de l'Abondance je ramasse je glane, je mets de germes de côté, je transporte, et je vis des matins d'une beauté inégalable, des soirs prolongés tard dans la nuit. Les légumes que je plante sont pour beaucoup donnés par une voisine généreuse ou par quelques ouvriers reconnaissants. C'est ainsi aussi que tout à fait fortuitement je suis devenu le parrain de la fille d'un mineur dont Janine s'occupe. Janine est la marraine. Il m'a donné du plant à repiquer. Petit à petit mon jardin s'agrandit. Ma belle-mère y plante ses herbes préférées. Des collègues à Janine nous donnent du plant de fleurs –
Cette maison nous a été loué à la condition d'entretenir la maison et son jardin. J'ai pris donc un peu de vacances en ce moment pour me consacrer à ce gros travail qui doit payer notre loyer – Lorsque j'ai commencé des milliers de chenilles étaient en train de dévorer tous les arbres. Le plus embêtant c'est de commencer un travail à zéro. Je n'ai rien et le travail est là. Je commence à m'y habituer et cela devient amusant. Je prospecte les environs et une bonne âme est bien vite sur mon chemin qui me propose elle-même de me prêter ce qu'il me manque. Par exemple le pulvérisateur. Ou bien je fabrique, un râteau. Le pire, c'est à dire le plus gênant, c'est que financièrement cela tombe très mal et que je ne peux rien acheter même pas un râteau de 700 frs. Alors je ressors tous les anciens germes mis précieusement de côté et je me débrouille. Car c'est le mois où officiellement nous devenons locataires et les propriétaires vont venir faire leur inspection. Comme je tiens énormément à rester j'ai pris le parti de venir à bout de ces travaux. Cela s'accompagne aussi d'amélioration pour les enfants, plus d'espace, du sable, des jeux. Et c'est bien à cette vie en plein air que nous devons de voir Dominique en meilleure forme. Elle est devenue très téméraire – elle toujours craintive je lui avais échafaudé un grand tas de paille sur lequel du haut de l'escabeau elle se jetait avec une joie toujours renouvelée. Josquin lui ne s'y risque pas encore. Janine est impatiente de goûter aussi des vacances. Sa sœur est là en ce moment avec son plus jeune fils de 11 ans. Nous couchons en bas dans un canapé pliant, le rouge qu'Anny connait je crois. Et Suzanne occupe notre chambre au premier dont les fenêtres donnent sur le verger. Il reste encore au grenier une jolie petite chambre que je viens de retaper. En somme on pourrait imaginer la descente d'un trio hollandais... ne serait-ce cette année encore l'incommodité des moyens de toilette. Aucune installation de lavabo ou baignoire rien! et c'est une maison qui a bien vingt ans. Je suis en ce moment dans la plus grande pièce de la maison, qui est la véranda. Entourée d'un côté par une affreuse palissade en ciment la vue sur le verger était masquée cela a été mon premier travail que d'enlever ces plaques pesantes et ces pieux proprement pour nous en resservir pour la clôture du verger lequel pour l'instant est libre – Mais alors je ne ferai pas un mur de deux mètres de haut, mais bien un muret de quarante centimètres et le reste... en grillage. Il y en a 160 m à faire. Voilà qui vous situe un peu la vie en France.
Merci infiniment de la carte de Cologne qui est bien parvenue. Cela m'a fait un réel plaisir de voir vos écritures réunies avec celles des Deetken. Voilà encore un germe qui vit la lumière et la chaleur des wiedersehen. Il méritait bien cela Friederich sinon quand t'aurait-il vu? Je pense que la symphonie a marché. Je ne l'ai pas vue au programme du moins pas encore.
Voici donc mon dernier feuillet (sur lequel tu verras quelques chiffres dont peut-être tu devineras le sens) (si ce n'est toi ce sera Théa) sinon la lettre sera trop lourde et mon travail n'avancera pas. Je pense joindre les photos du voyage aussi, je les trouve réussies tu me diras si elles te plaisent.
Voilà mon "vieux" je suis bien content de ce voyage que j'ai fait pour les "petits" enfants et dont j'ai tiré crois-moi encore beaucoup, énormément, de choses dont je te remercie et pour lequel je remercie Théa que j'embrasse bien fort. Et maintenant souhaitons-le à bientôt le prochain voyage!
Je t'embrasse bien fort et te revaudrai toutes les grandes joies que tu m'accordes si facilement.
Et toi Odile, viens, je t'embrasse aussi comme un grand frère, Mademoiselle!
Donald.
Chers Thys et Théa,
Je joins aussi mes excuses pour ce long silence –
Encore un grand merci pour votre gentil accueil.
Bons baisers à tous,
Janine
Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA