MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

TROISIÈME SYMPHONIE THRÈNE ET PÉAN (1921-1922)

Le 26 mars 1921, dans une petite maison où il se retirait pour composer environnée par la forêt d’Hollandsche Rading, Vermeulen commença à travailler à sa troisième symphonie. Il l’acheva le 9 septembre 1922 à La Celle Saint Cloud.
    Il emprunta son titre à des concepts grecs classiques. Thrène (en grec, threnos) signifie « chant de deuil », péan (en grec, paian) « chant de guerre ou de victoire ». Avec les mouvements lents de cette composition, Vermeulen eut l’intention de « chanter ce que l’on aime dans sa fugacité ».  Le mouvement rapide est en revanche conçu comme un « chant de joie pour chanter ce que l’on aime en sa présence ». Dans un commentaire, Vermeulen ajouta encore : « les mêmes désirs, ou le même bonheur, dans de multiples inflexions qui peuvent s’accorder ensemble ».
    Sur le plan de la forme, l’œuvre est très différente de la deuxième symphonie. Par l’emploi d’un mouvement Lento, d’une instrumentation plus sombre et par la présence de grands climax construits tels de longs arcs de tension, la troisième symphonie est de tendance beaucoup plus dramatique. Elle comprend une introduction et trois mouvements (A – B – A’ : lent – vif – lent) qui se succèdent sans interruption et qui grâce au retour d’éléments thématiques possèdent entre eux une solide unité.
    L’ouverture construite à partir des régions les plus graves de l’orchestre par différents groupes d’instruments fait entendre une mélodie de type fanfare au-dessus d’un accord de six sons. Marquante, elle rappelle fortement les premières mesures d’Arcana de Varèse, œuvre qui vit le jour quelques années après la composition de la troisième symphonie de Vermeulen. (La similitude entre les deux œuvres s’arrête d’ailleurs là.) Le thème, intitulé « évocation » par Vermeulen et construit à partir de grands intervalles mélodiques, réapparaît à plusieurs reprises tout au long de l’œuvre tel une balise ou un jalon donnant à la forme des contours nets. Après cinq autres mélodies, qui introduisent réserve et apaisement, le véritable chant Thrène fait son entrée : il s’agit d’une succession de tissus polymélodiques dans lesquels on peut distinguer quatre sections. Si les deux premières possèdent le caractère statique d’un repos contemplatif, les suivantes ont plutôt tendance à aller de l’avant. Dans la troisième comme dans la quatrième section, la technique du canon participe de façon importante à la construction d’un climax. La tension est intensifiée dans la dernière section par un raccourcissement progressif de la distance avec laquelle les voix se succèdent. D’autres facteurs contribuent également à l’effet de climax, tels que l’installation d’un arrière-plan calme (champ harmonique stationnaire) pour une alternance constante d’accords et l’application de basses obstinées (deux procédés souvent utilisés par Vermeulen). De nouvelles voix s’insèrent en outre dans un crescendo progressif et cette texture qui peu à peu s’enrichit finit par compter huit voix réparties entre tous les instruments. La tension née de ces différentes gestes se résout dans l’allegro du Péan.
    Le chant de joie peut être considéré comme un rondo avec deux refrains, dont les péripéties peuvent être résumées de la manière suivante : Le Refrain I, prégnant tant sur le plan du rythme que de la couleur, intervient tout de suite cinq fois, en alternance, dans une tessiture moyenne et haute. Le motif de fanfare de l’évocation introduit alors une sorte de point d’exclamation. Dans la section suivante, lyrique, polymélodique, dans laquelle des variantes du refrain sont dissimulées, la texture à trois voix se développe pour compter peu à peu sept voix. Elle aboutit à un retour du premier refrain, cette fois au-dessus d’une pédale de basse, avec un nouveau contrepoint. Cette section fortissimo fait place à un champ harmonique au-dessus duquel le glockenspiel et le violon solo commencent ensemble un nouveau chant, secondé de nouveau par d’autres mélodies. Ce passage en crescendo conduit à une troisième apparition du refrain I sur lequel Vermeulen brode encore quelques temps. Toutes les voix se précipitent ensuite dans le refrain II, un thème bachique dont le déroulement sur le plan de la hauteur des sons est difficile à définir du fait qu’il se compose de deux « voies » mélodiques constituées par divers accords. Le motif de fanfare se fait alors entendre deux fois de suite, dans une tessiture aiguë lancinante – voire comme une sorte de memento mori. Il sonne au-dessus d’un cluster martelé dans les parties des cordes graves, contre lequel les autres instruments claironnent également leur partie. En réaction à tout cela, l’atmosphère change soudain et l’on assiste, dans un tempo plus lent, à un retour de fragments du chant élégiaque Thrène. Après un certain temps, le mouvement principal de l’Allegro est repris pour une danse ou ronde menée par de virtuoses mélodies. Avec le deuxième retour du refrain II, le mouvement rapide culmine dans un climax gigantesque qui s’interrompt brusquement après la troisième apparition du motif de fanfare. (Selon Vermeulen, la composition peut être représentée de façon graphique par une ligne ascendante en zigzag qui chute tout droit après avoir atteint son sommet.) On assiste ensuite une fois encore à un retour des premières mélodies du chant Thrène, au-dessus d’un lent mouvement obstiné marqué par la couleur violette d’une timbale, une harpe et des pizzicati de cordes qui se détimbrent dans un diminuendo qui peu à peu s’éteint – à la manière des sons produits par un cortège funèbre solennel disparaissant à l’horizon.
    Plus tard, Vermeulen se souvint encore de la manière dont il composa la fin de cette œuvre : « malgré moi, en dépit de ce que je désirais, mais contraint par une nécessité à laquelle je ne pouvais me soustraire ».