Matthijs Vermeulen
aan
Donald Van der Meulen
Louveciennes, 4 januari 1945
Louveciennes (S et O)
2 Rue de l'Etang
le 4 janvier 1945
Mon cher Donald,
Bien content de recevoir ta lettre du 23 déc. ce matin. Ton silence commençait à me paraître long. Bonne et heureuse année mon vieux. Nous avons passé de maigres fêtes, en t'attendant vaguement, comme on espère toujours, même l'impossible. La nuit de Noël Anny a trouvé ta boîte sur son lit. Plusieurs jours auparavant je lui avais dit le plus sérieusement possible: "Alors, tu as certainement demandé des bonbons que tu aimes tant au bon petit Jésus?" Ta grande sœur me répond: "Oh ça, je ne crois pas qu'il le peut par le temps qui court le bon P.J.!" Je lui dis: "Demande toujours, cela sera d'autant plus beau." Et elle a fini par demander, et elle a eu.
Voilà notre petit conte de Noël. Il a gelé ici, très fort même. Bien entendu le tuyau du trou a gelé et crevé. J'ai aveuglé la fuite avec le marteau en attendant le plombier, qui n'a pas encore paru. J'ai dû démolir ton poulailler pour y garer la voiture de Hess. En rencontrant Anny madame Hess s'inquiétait énormément et à plusieurs reprises si sa voiture était bien à l'abri. Alors tu penses!
Catastrophe: On m'a retiré ta carte de tabac, sous prétexte que c'est un ordre.
Aujourd'hui grande neige. J'ai balayé le jardin, ce qui fait que mon écriture est mauvaise. Tes gants et tes souliers me servent bien.
Pour la nouvelle année nous avons bouffé les saucisses. Encore quelques bouts de panne (de cochon) et ce sera la disette. A moins que...
J'ai eu la réconfortante surprise de recevoir de M. le Maire de la part du Comité de Libération et du Conseil Municipal un somme de cinq mille francs, produit d'une fête de Bienfaisance. C'est très chic je trouve. En tout cas je me réjouis qu'une Communauté française m'est venue en aide sans que je lui aie demandé.
J'ai reçu une lettre du Capitaine du Commando de Josquin. Je te le transcris:
S.P. 70.934 / 23 déc 1944
Brigade de Choc
1er Commando d'Accompagnement
de France
"de plein gré"
Cher Monsieur,
Votre fils était depuis le début au 1er Cdo. Je le considérais comme un ami très cher plus que comme un subordonné.
Comme vous l'écrivez – "loyal et franc" – il était estimé de toute l'unité.
J'ai ressenti une grande peine à l'annonce de sa mort.
C'était un heros.
Au combat de Servance (Hte Saône) du 3 au 5 Oct. 44 il s'était déjà distingué. Je venais de le proposer pour le grade de sergent.
Le 9 11 [sic] 44 lors d'une contre attaque allemande (secteur de Château Lambert Haute Saône) le tireur de fusil mitrailleur du groupe que commandait votre fils, le soldat Bouget Victor a été tué. Votre fils n'écoutant que son courage s'est précipité sur le fusil mitrailleur, il a tiré et a été tué presque immédiatement d'une balle en plein cœur.
Vrai fils de France, votre fils a été proposé pour la médaille militaire et pour une citation à l'ordre de l'armée.
Nous l'aimions tous et son souvenir restera parmi nous.
Je vous prie de bien vouloir recevoir l'expression de mes sentiments attristés. (Cette formule si bête ne peut rendre toute la douleur que je ressens).
Fournier
Capitaine Louis Fournier
Votre fils est enterré au cimetière de Servance tombe C 11
Voilà la citation:
A l'ordre de l'armée
Médaille Militaire et Croix de guerre avec palmes
Caporal Van der Meulen Josquin:
Chef de groupe remarquable par son allant et sa volonté de vaincre. A trouvé la mort le 8 Octobre 1944 aux Sapins du Haut (Secteur de Servance Hte Saône) en dégageant sous le feu de l'ennemi le corps de son tireur de F.M. tué sur sa pièce.
Était réformé 100% pour blessures reçues en service commandé.
(A cette dernière phrase je ne comprends rien. Je suppose que ce doit être une erreur de copiste)
Et voilà ,mon petit Doudie. C'est beau, c'est magnifique. C'est "triste et beau" comme les clairs de lune de Verlaine. Nous pouvons être contents de notre brave Josquin. Et je ne m'en console pas, ou si peu.
C'est tout pour aujourd'hui. Il faut que je me presse pour la levée, car un jour de gagné c'est toujours un jour de gagné.
Ecris bien vite. Demain c'est Anny qui t'enverra une lettre. On a demandé ton adresse à la mairie pour t'envoyer des colis!! Veinard.
Je t'embrasse bien fort
ton Père
Thys.
Pizzi après ton départ, ou plutôt Kito, a jugé que la maison n'était plus "cela" et s'est tranquillement installé à la maison d'où il venait, chez M. Valette!
Encore une fois je t'embrasse
Miaou.
Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA