MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19630708 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

Chateaubleau, 8 juli 1963

Chateaubleau le 8 Juillet 1963

Cher Thys, Chère Théa,

Chère Odile,

Cela fait déjà un mois que je veux répondre à vos bons vœux et chaque jour me rend plus honteux de ne l'avoir fait déjà. Voici donc qu'en pleine nuit Josquin vient de me décider à écrire. Je trouve ce papier qui n'est pas merveilleux mais comme je ne veux réveiller personne je commence ma missive dessus.

Merci donc pour la belle carte qui m'est bien parvenue. Depuis jeudi dernier Janine et les enfants avec grand-mère ont quitté Paris et les miasmes de quartier après rougeoles, varicelle et quoi encore. Petit à petit Janine reprend des forces. Aujourd'hui elle reprend un tout petit train de vie avec plusieurs heures de repos par jour. Inutile de vous décrire sa joie de se sentir toute légère, vous l'imaginez sûrement.

Les enfants après quelques jours de ce bon air ont repris déjà. Mais je fais l'aller-retour entre Paris et ici mes vacances étant prévues au mois d'Août.

J'ai réalisé hier une chose que tu m'avais demandé depuis longtemps. J'ai fait un portique aux enfants. Je le désirais depuis belle lurette mais (cela) représente encore beaucoup pour moi. C'est peut-être triste à dire mais c'est vrai. Je me souviens l'arrivée à Voisin de ce beau portique en bois bleu qui venait peut-être du Printemps. Cela devait avoir été aussi beaucoup pour toi. Mes enfants m'ont vu débarquer avant-hier soir avec des tubes dépassant de la voiture. Ce fut tout de suite le mystère. Qu'allai-je faire avec cela. Pendant tout le dimanche ils ont su que c'était pour eux, que ça commençait par un P et finissait par un E. ils m'ont regardé faire les filetages au milieu de cette pelouse envahie par les herbes, ils m'ont aidé à monter les raccords tout en se creusant la cervelle et tâchant d'arracher un brin pour savoir. Josquin lui comptait les tubes. "On est que cinq, Poupou, pourquoi as-tu onze tubes?" Au premier triangle réalisé ça y était, on construisait une tente. Il fallait chercher les toiles. En effet mon chapiteau n'est pas bien haut 2m,50 mais il reste de leur âge et de mes moyens. Lorsque tout fut raccordé cela faisait une grande tente de huit mètres de long sur cinq mètres de large. J'avais installé le jeudi avant pendant à l'huisserie d'une vieille porte de grange deux cordes aux bouts desquels une planche réalisait déjà le délice des postérieurs volants. Le fait de la transplanter sous le mât fut l'étincelle qui fit briller les yeux de Josquin, illumina l'imagination de Dominique. "Tu vas en faire deux n'est-ce pas, dit-elle, comme ça on aura pas besoin de s'attendre." Car au long de la journée j'avais aussi pris le réveil et fait le juge pour la succession sur ce trône volant tant convoité. D'un coup finit la patience, les disputes, les rosseries. Quand j'eus accroché ma piteuse balançoire, le cousin Daniel, parrain de Josquin - bientôt docteur en médecine, sortît du grenier les accessoires de l'ancien portique, anneaux, trapèze, seconde balançoire et sans le savoir la longueur de mes tubes correspondait précisément à tous ces accessoires étalés.

Pendant cette journée de bricolage les enfants me virent casser une lame de scie. Josquin sauta sur l'objet devenu inutile pour moi. Cela lui apparaissait comme un trésor, après lui avoir rendu le plus inoffensif possible je lui donnai. Il ne lui fallut pas plus de quelques secondes pour réaliser que cette lame seule n'était pas complète. Il fallait un manche il me demanda comment faire. Je lui dis qu'en mettant deux morceaux de bois à un bout de la lame cela irait. Il trouva deux planchettes et s'appliqua à tirer au crayon ses traits de scie, s'installa dans mon étau et à mon étonnement réussit à scier en dehors du trait bien sûr mais à scier son petit manche. J'avais soufflé l'idée d'un ajustage avec de la corde. Le trou dans la lame lui insuffla celle de mettre une vis, il chercha des vis et réalisa, avec un petit coup de pouce de papa, un outil très correct dont il fut évidemment très fier.

Cela me parut de suite remarquable et en cette nuit d'insomnie m'est revenue l'admiration pour ce geste sempiternel de l'homme qui s'éveille, admiration que tu m'as transmise et dont je t'apporte l'image avec joie. Une des premières intelligences de l'homme, la liaison, la protection contre son corps et son outil, réalisée avec tant (de) simplicité de persévérance de bonheur. Voilà ce que m'a fait me lever et t'écrire. Voilà la récompense de ma journée. De voir que mon fils rattache si facilement le manche à la cognée.

Ce garçon s'applique très bien aussi à coudre.

En classe on le remarque pour sa facilité de compréhension mais aussi pour sa lenteur d'exécution.

Voilà mon petit récit terminé le jour c'est levé. Le premier ronronnement de l'aéropostale a grandi dans le ciel et meurt à présent lentement à l'horizon - La paix de cette campagne m'attire beaucoup. Je suis bien content que Janine et les enfants peuvent en profiter. Quel malheur d'être confinés à un appartement de Paris, dans le quartier où nous sommes. Je n'oublie pas que c'est grâce à mon beau-père que nous pouvons nous évader ainsi, à ses années de labeur. Je serais désolé si quittant cette terre je n'avais trouvé le moyen à mes enfants et petits-enfants de s'évader à leur tour. Les années passent et me laissent peu ce sentiment.

Je n'ai jamais eu le courage de vous annoncer la mort de Javotte je crois. J'en parle le moins possible ayant été très affecté par cet accident survenu au mois de Février à Paris. Elle a couru dans une automobile sur le boulevard, en voulant attraper un pigeon. Je l'ai portée en terre de Louveciennes. Elle a été tuée sur le coup devant Josquin et Dominique. Je suis tout de même content qu'elle ait terminé sa vie de chien. Ce n'est tout de même pas drôle une vie de chien. Aussi quand j'irai à Louveciennes je lui donnerai le bonjour.

J'espère que de votre côté tout va bien et que vous allez profiter de l'été pour vous reposer un peu. Que fait Odile? J'aimerais bien vous revoir mais quand?

Je vous embrasse bien fort tous trois

Donald.

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA