Matthijs en Thea Vermeulen
aan
Roland en Marcelle Van der Meulen
Laren, 27 november 1960
Laren (N.H.)
Drift 45
le 27 novembre 1960
dimanche-matin
Mon cher Roland
Chère Marcelle,
Chers Marie-France,
Philippe, Marc et Joëlle,
Ta lettre du 16 août – les vacances – m'a accompagné pendant les trois mois sur ma table, à ma gauche et à portée de ma main. Les nouvelles étaient bonnes, les deux photos tout-à-fait charmantes. Cela m'a réjoui beaucoup. Je les ai regardées plusieurs fois. J'aurais bien voulu vous faire quelque plaisir. Mais de là à prendre du papier blanc et un stylo voilà toute une entreprise. Depuis la mi-août je ne crois pas avoir écrit une seule lettre ni carte, peut-être une seule, à Odile, lorsqu'elle était au bord de la mer. Tu vois, je fais un petit examen de conscience, un peu plus long que d'habitude. Car si je ne me souviens pas trop mal, chaque lettre que je t'envoie doit bien commencer par la même excuse – Comme c'est curieux. Est-ce que Marie-France jette quelquefois un regard sur mes épîtres? Elle doit me juger bien sévèrement! Mais rien à changer. Impossible. C'est que les jours passent avec une vitesse qui maintes fois m'effare. Quand je travaille à ma musique, une heure s'envole comme une minute, quand je me promène, bine le jardin, fais mon café, lis mes journaux, nettoie mon chauffage, me rase, etc., c'est la pareille constatation surprenante qu'une minute ne dure pas plus longtemps qu'une seconde. La santé pourtant est excellente, la tête lucide, je n'ai toujours pas besoin de lunettes et je peux suivre un avion moderne à une distance d'au moins quinze kilomètres. Et avec ça il pleut cette année presque continuellement, comme chez vous probablement, et malgré cet agacement qui ne finit pas je ne trouve jamais l'occasion de m'ennuyer; de me plaindre une bonne fois de la longueur du temps. Et aujourd'hui je pense: voilà quarante ans que Roland est né. Ce n'est pas croyable! Quarante ans que ma deuxième symphonie est là. Je vois une plaine lumineuse derrière moi, qui s'étire sur un millier de lieux, immense, avec quelques petites taches sombres, néanmoins agréable, réconfortante, miraculeuse sous plusieurs points de vue, et où rien ne semble avoir bougé, ni ne pouvoir bouger. C'est merveilleux, ensorcelant. Quelque chose comme le disque du soleil. De temps en temps une courte tempête magnétique. Mais pas d'autres nouvelles. Evidemment il y a des changements minuscules. Odile va depuis septembre au lycée de Baarn, à une dizaine de kilomètres d'ici qu'elle fait en bicyclette, elle grandit énormément, elle est bonne élève, très vitale, très joyeuse en général, sensitive par surcroît, sérieuse, travailleuse, modeste et fière, et Théa continue de se porter de mieux en mieux, et cela aussi se range pour moi sur cette plaine ensoleillée, quoiqu'il pleuve encore pour l'instant et qu'il fasse bien gris, et je ne saurais dire exactement si je vois cette plaine derrière moi ou devant.
Dis, mon brave Roland, l'année prochaine il y aura quinze que nous ne nous sommes pas revus. Le moment ne serait-il pas venu d'essayer d'organiser quelque rencontre? Moi je n'ai que peu d'envie de voyager et encore moins d'envie de revoir la France pour l'instant où tant de choses n'ont pas l'air de pouvoir me plaire. Mais tu as une bagnole, et pourquoi ne ferais-tu pas comme Donald qui, l'été dernier est venu avec toute sa smala et a passé un très agréable week-end avec nous? Nous lui ont procuré un très confortable logement chez une dame amie qui habite une grande villa, logis pas coûteux pour lui. Pourquoi tu ne ferais pas comme lui? Il est resté un jour. Mais s'il avait pu il serait bien resté deux jours sans encombrement considérable pour nous, sans beaucoup plus de dépenses pour lui. Tu iras réfléchir à cela et tu me diras ton opinion. Les frais de logement seront pour toi, évidemment, hélas – car nos finances, sans donner des soucis, sont encore loin d'être brillantes.
C'est avec beaucoup de joie que j'ai lu tes descriptions de Saumur et de ses charmes. Alors, continue, progresse, espère. Qu'il soit beau pour toi ce jour du trente novembre. Tu as toutes nos félicitations les plus affectueuses, tous nos meilleurs vœux de tout notre cœur, pour toi et pour les tiens. En avant, avec courage, pour les années suivantes. Nous vous embrassons tous bien fort, et bien cordialement
ton
Theys.
Grand merci des photos! elles sont ravissantes.
Thea
louter in fotokopie overgeleverd
Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA