MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19591111 Roland Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Roland Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

Mr et Mme Roland Van der Meulen

La Jocerie

14 rue des Moulins

Bagneux (M et L)

Par St Hilaire St Florent

11 Novembre 1959

21H

Mon cher Theys,

chères Théa et Odile,

Ainsi que je le laissais prévoir dans ma lettre écrite cet été, le changement attendu s'est produit peut-être un peu plus vite, un peu plutôt, c'est possible. J'ai trouvé une place de Métreur toujours, dans une très grosse affaire de chauffage central, sanitaire, à Saumur – j'ai un avenir assuré, car le patron est âgé et délaisse de plus en plus la partie technique de son affaire que je prendrai lentement à ma charge dans les mois, les années qui viendront. Si tout marche comme je l'espère cela pourrait être vraiment définitif pour moi. Avec la providence, j'ai peut-être tiré, sans le savoir, le bon billet. Mais la vie est si bizarre et quelquefois si compliquée qu'il ne faut jamais jurer de rien. Mais autant j'ai toujours senti ma situation du Pa de Calais comme instable et provisoire, autant je peux affirmer que mon nouvel emploi me semble avoir démarré sur une base de durée. Le Patron a repris cette maison en 1920 (fondée en 1814) et elle a toujours pris de l'extension depuis. Il y a en plus, la partie commerciale de l'affaire (Vente d'appareils sanitaires et ménagers) dont s'occupe le gendre – Naturellement j'ai beaucoup de travail, les sommets ne s'atteignent jamais sans gros efforts, mais à chaque jour suffit sa peine et je suis très philosophe et ai appris à me pas me "casser" la tête, plus qu'il ne faut. L'essentiel n'est-il pas de toujours bien faire ce qu'on a à faire. Le reste vient par surcroît. Naturellement ce que j'ai entrepris là, je ne l'aurais pu il y a seulement 5 ou 10 ans et les années aidant, l'expérience s'acquiert dans tous les domaines.

Mon "patron" a de hautes fonctions à la Ville de Saumur et préside à beaucoup de Sociétés d'œuvres de toutes sortes de telle manière qu'il lui est aisé de m'obtenir un logement qui sera neuf, dans quelques mois.

Je suis resté un mois seul, à l'essai, et depuis le 1er Novembre Marcelle et les enfants sont avec moi et nous logeons dans la maison de campagne de mon employeur. C'est une maison agréable, genre la Bicoque, avec tout le confort, il n'y a que le chauffage qui cause quelques problèmes, mais vite résolus dans une maison qui vend tous les appareils imaginables depuis le poêle à charbon au radiateur à gaz en passant par les feux au Mazout et à l'électricité.

Le déménagement s'est effectué par fer, tout a bien "roulé" et les meubles sont parqués en attendant le logis. Nous ne nous apercevons pas trop du changement, le "garni" que nous habitons ne manquant de rien. C'est pour les études des enfants que nous avons le choix et ce fut un peu la raison de notre départ vers une ville et puis tant qu'à partir autant aller vers le Sud et puis à 100k des parents de Marcelle. Marie-France est au Lycée en 6e et marche très bien. Ses études sont bonnes pour ne pas dire brillantes, et apprend aussi très bien le piano, ayant 2 leçons par semaine, elle aime beaucoup cela. Je crois que tous nos enfants seront des amateurs de musique, d'instruments. Philippe en attendant le Lycée de Saumur ou il entrera dès que nous serons logés dans la Ville – va à l'Ecole communale. Je crois vous avoir déjà dit qu'il avait une bonne tête mais que le courage lui faisait défaut.

Que fera-t-il? C'est un vrai bricoleur, et très adroit de ses mains, très bon en dessin, en modelage, en découpage, maniant tous les outils avec dextérité et bien que très froussard, militaire dans l'âme comme d'ailleurs toute la jeunesse d'aujourd'hui. C'est incompatible avec son caractère très sensible, mais l'impulsion est là. Et puis Saumur est la Ville militaire par excellence: Cadre Noir, école d'application des chars, Aviation, rien ne manque, pour inciter la jeunesse à entrer dans l'ordre militaire. La jeunesse est-elle plus militariste qu'hier, je ne le pense pas, peut-être un peu tout de même, car si en 1930 par exemple il y avait un ou deux films de guerre (Les Croix de bois de Roland Dorgelès par exemple) aujourd'hui il y en a des centaines en toutes les versions et c'est cela qui frappe le cerveau de ces gosses. Et puis le moindre illustré (même bien pensant) consacre toujours plusieurs pages à de récits, de faits de la guerre d'hier – d'avant hier et même de demain. Alors rien étonnant que de par le monde les enfants connaissent mieux que les parents tous les secrets de cette sale boucherie.

Même notre Marc qui n'a que 5 ans ne rêve que d'avion, de militaire de Police, de gendarme. Marc a l'esprit "potasseur" de sa sœur aînée et en prend la trace mais possède en plus, des qualités que Marie-France n'a pas et n'aura jamais, je veux dire le cœur, le caractère, la sensibilité. Ce petit est vraiment gentil et possède un cœur d'or. Joëlle est encore petite mais tirerait du côté de Marie-France.

Le 2 Novembre nous sommes partis pour Saumur après une courte halte à Puteaux nous avons passé la nuit du 1 au 2. Nous nous sommes arrêtés à Louveciennes que les enfants ne connaissaient pas. Je leur ai fait visiter le Bas Prunay qui est toujours à la même place: ton chalet n'a pas changé. Le portail d'entrée n'était même pas fermé, j'ai pu y pénétrer comme jadis. Mais quel abandon certainement pas entretenu depuis longtemps. Des herbes hautes, des arbres pas taillés: c'était dommage, ce spectacle. Les enfants se sont amusés un court instant à courir là-dedans, se sont remplis les poches de délicieuses petites pommes rouges. Les années passent, le souvenir reste.

Nous sommes allés après sur la tombe de Fofo. La plante que j'avais enterré l'an dernier était en fleur, j'en ai planté une seconde, toujours un beau chrysanthème. Fofo aimait tant les fleurs. Là aussi un peu d'abandon car personne ne s'en occupe.

N'as-tu reçu, Theys, la visite d'un étudiant Hollandais que j'ai eu l'occasion d'emmener dans ma voiture de Tours à Saumur car il faisait de l'auto-stop. Je lui ai donné ma carte de visite pour toi, car il te connaissait de nom et rien que ton nom lui inspirait beaucoup de respect. J'espère que tu auras reçu ce bonjour inattendu certes mais combien sympathique.

Je pense en fin d'année vous donner de nouvelles toujours bonnes sur ma situation qui évoluera, espérons-le vers ce mieux pour lequel chaque individu lutte ici-bas, d'autant plus lorsqu'il a charge d'âme.

Je vous embrasse pour tous les six, bien bien fort, tous les trois, et vous envoie mes affectueuses pensées

Roland