MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19570722 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

La Motte Beuvron, 22 juli 1957

La Motte Beuvron

le 22/7/57.

Cher Miaw, chère Théa, chère Odile,

Ta lettre du 18 bien reçu avec joie et recueillement devant ce beau trèfle à quatre feuilles. Quelle jolie couleur lorsqu'on le regarde en transparence! Je le garde précieusement. Cette lettre est arrivée avec une de Trudi qui passe des vacances en Haute-Savoie avec les enfants. Elle m'apprend que Norbert a eu le prix d'honneur avec un livret de cinq cents francs et que Clarisse a mérité un voyage au bord de la mer avec sa classe – Je ne sais si je t'ai dit qu'au début de l'année Clarisse travaillait mal. A Pâques j'ai tout de même tenté la gageure (gajure tu entends...) de leur offrir un beau cadeau: les bicyclettes – Depuis Clarisse a opéré un redressement dans son travail et a bien terminé l'année. Je ne sais s'il y a une relation, en tout cas on s'en félicite – Me voilà maintenant des uns et des autres, pensant aux quatre. Oui voilà "Heureux père moins quatre" c'est ça j'y suis arrivé... Mais ici dans le Château où il y en a d'habitude 200 à 250, en cette période de vacances il en reste une centaine. Répartis en groupe d'une vingtaine sous un emblème tel que "Sapins" Peupliers, Acacias, Palmiers, Bouleaux Honneur – Excellence – Mérite – Super-Mérite. Depuis ma venue j'ai été affecté à l'un de ces groupes. Devinez un peu lequel? Ces garçons ont en principe de 14 à 21 ans. Ceux de mon groupe s'approchent plus de 14 que de 21. Dès la première semaine j'ai senti l'attraction de ces jeunes. Nous les voyons au lever à sept heures moins le quart après le bruit sinistre de la sirène qui donne le départ de la journée et des points marquants: repas, rassemblements. Chacun dans une petite cabine grillagée finit sa nuit au son du sifflet. Nous assistons à la toilette, au petit ménage et puis nous les entraînons sur le terrain de sport après le petit déjeuner. A neuf heures ils s'en vont dans les ateliers où ils apprennent la peinture, le jardinage, le travail du bois celui du métal, chacun ayant choisi sa spécialité ou bien en classe aussi pendant cette période de l'année où habituellement il y en a –Là ils nous échappent jusqu'ici midi et demi – Pendant ce temps-là nous faisons des rapports individuels de comportement, d'activités du groupe, nous préparons des veillées et des activités dirigées telles qu'initiation à la musique. De midi et demi après le repas bien sûr à trois heures nous les emmenons au dortoir faire la sieste silencieuse. Dans leurs vingt petites cabines juxtaposées les uns lisent d'autres dorment – De trois à sept heures ils vont au travail. Et le soir après le repas il y a une distraction, une veillée, du sport, ou un programme de télévision pouvant les intéresser. Car ces jeunes par leur travail dans une ferme des environs se sont gagné trois postes de télévision. C'est ainsi que les a récompensés un gros propriétaire de la région. Par le travail, c'est bien un point sur lequel on appuie fortement. Ces élèves reçoivent leur courrier adressé à l'école professionnelle de La Motte Beuvron. Ce sont des "élèves". D'où viennent-ils? vous demandez-vous certainement. Leur passage par cette école est motivé par la décision d'un juge pour enfants pour punir la délinquance chapardage, carreaux cassés dans un village, clôture abimée. Ou bien un père qui n'arrive pas à bout de son fils peut par "correction paternelle" se décharger de ses peines. Il paie alors la pension à l'Etat et la punition dure le temps qu'il faut sans cependant pouvoir dépasser 21 ans – Mais le cas de correction paternelle est assez rare (on cite celui de Mr Pinceau ministre des affaires étrangères dont le fils est passé par ici) et la plus part des jeunes sont les fruits de milieux dissociés, jetés trop tôt dans la vie et qui ont rencontré très rapidement les barrières de la société – Si je pense à la vie que les gars de Louveciennes menaient, y compris les Vermeulen, je suis penché à conclure pour un resserrement de la discipline sociale depuis ces vingt dernières années. Doit-on s'en réjouir? Cela fait une caste de fonctionnaires en plus et quelques milieux de perversion radicale où arrivent certaines brebis peu veinardes que l'on se charge de transformer en loups.

Si vous n'avez deviné le groupe auquel je suis affecté je vous le maintenant: "les Bouleaux" furent mon premier terrain d'observation. Groupe dit des "dysmorphiques" par leur état physiologique retardé entraînant des traits de caractères très marqués tels que complexes d'infériorité, émotivité, instabilité – Bien sympathiques dans l'ensemble la tendance au puérilisme donne une ambiance où je me plais. Il y a encore cette douceur de l'adolescence qui s'attarde. Je ne suis pas mécontent d'être tombé là en premier. Car les groupes voisins n'auraient certes pas eu le charme de ce premier contact.

Vous avez appris par une carte que je suis passé par Lyon la semaine dernière. Trois élèves partants en permission avaient besoin d'un accompagnateur. Je fus choisi pour faire ce beau voyage. Mes compagnons avaient dans les vingt ans – Deux étaient frères. Ils s'en retournaient vers un père qui se faisait du souci quant à la bonne volonté et aux bons sentiments futurs de ses fils envers lui. Il s'était réfugié dans la campagne lyonnaise en attendant leur retour. J'ai tenu à faire ce retour avec l'un des fils pour aller rassurer ce père. Cela me valut une bonne marche de 6 km dans la montagne sous un soleil ardent, dans un paysage magnifique, les monts entourants la ville, surplombant la Saône. J'ai souvenir d'un vallon merveilleux où pour la première fois depuis longtemps, j'eus envie de peindre; la beauté de la nature si forte, si entière avait enfin banni le reflex habituel de penser à la photographie. J'avais là sous mes yeux un langage puissant auquel je me serais adonné de suite si je n'avais eu cette mission. Du moins gardai-je le souvenir de ce désir violent, celui de l'endroit où j'espère revenir.

Peut-être est-ce là la récompense d'avoir accompli cette mission avec tant de foi? Tout en étant violemment ému par ce paysage, je pensais à ce père de l'autre côté de la montagne qui avait peur de ses fils. Maladivement il avait entendu d'après lui des menaces. Je me plaçais dans cette affreuse situation et tout en grimpant cette montagne épuisante, je préparais le terrain de notre entrevue.

Ayant perdu beaucoup de l'habitude de marcher je regrettais assez vite d'avoir pris une cadence rapide dès le début ne connaissant pas la région et chargé comme je l'étais avec ma valise, l'imperméable, le porte document, ce fut rapidement une souffrance que cette montée. Je me fis un point d'honneur à garder le rythme, celui d'hommes bien décidés. Nous trouvâmes le père au travail dans les champs et grande fut sa joie de pouvoir embrasser son fils et trouver du réconfort et de sécurité dans mes paroles. Je mis tout dans mon pouvoir bénéfique dans mes contacts avec cet homme et une prochaine réunion de la famille fut envisagée dès qu'il aurait terminé son travail – Ce bon bougre à la mine épanouie, aux yeux craintifs derrière ses lunettes avait espéré la venue du Directeur de ST Maurice, pour qui il me prit au début de l'entretien, et se trouvait réconforté par la bonne tournure qu'il prit. Pour une initiative personnelle, la première, je me félicitais d'avoir un peu ajouté au programme que l'on m'avait fixé.

Après cette entrevue dans les champs j'effectuais le retour avec le cœur plus léger. Je visitai la vieille église du XIIe siècle et j'appris que Charnay le nom de ce village, était le site le plus haut de la région d'où par beau temps on pouvait apercevoir quatre-vingt-onze clochers. Le père avait vraiment bien choisi son refuge. Je garde aussi le souvenir pendant la montée du bruit d'un moteur se répercutant dans les vallons. Je cherchai par tous les moyens à voir d'où venait ce moteur. Je le connaissais bien – J'aurais mis ma main au feu, je sais pourtant combien c'est dangereux, que c'était le moteur d'un motoculteur Staub. J'aurais eu tant de plaisir à retrouver au travail cet animal bleu. Mais caché dans les vignes il ne m'envoyait que son ronron sérieux et travailleur. Autant m'obsédait la souffrance de ce père isolé, autant m'aiguillonnait ce bruit lancinant avec ses périodes de repos et de travail alternées régulièrement. Je ne le vit point et l'oubliai de l'autre côté de la montagne.

Chose curieuse lorsque j'eus fini l'entretien avec le père à peine je l'eus quitté des yeux, mes yeux se posèrent sur l'animal bleu, le motoculteur Staub qui passait tranquillement sur la route en bordure du champ. Curieuse, du moins pour moi qui remarquais la coïncidence de deux petites satisfactions.

Ayant joué dans cette expédition presque la totale de mes maigres moyens financiers et là je pus juger efficacement de mon désir sincère d'accomplir ma mission, le retour fut marqué par la traversée, un peu forcée mais très agréable de la ville de Lyon. En flânant, adieu le rythme décidé, j'étais seul, je suivis les bords de la Saône cassant les croûtes, que l'on m'avait données au départ, sur les somptueux bancs de la ville. Très jolie cette ville, agréable, que j'aimerais à visiter plus tranquillement. Je pensais à Anny bien sûr et lui rappelai le passé par une carte.

Voici la troisième semaine qui s'achève. J'ai hâte de retourner à Châteaubleau où sont Janine et les enfants que je n'aurais pas vu depuis un mois. Encore une semaine et quelques jours je pense partir vers le 8 ou le 9. août.

En pensant bien à vous je vous embrasse bien fort tous trois

votre Donald.

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA