Matthijs Vermeulen
aan
Aline Leduc
Amsterdam, 14 april 1949
Amsterdam
Heerengracht 330
le 14 avril 1949
Bien Chère Aline,
Te voilà arrivée au jour dont j'espère qu'il sera pour toi et Jacques le plus beau, le plus émouvant de votre vie, et le commencement d'une longue période de bonheur. Comme tu le sais déjà, le bonheur doit être gagné, conquis, et avec autant de ténacité que souvent le pain quotidien. Mais tu as le cœur aussi brave que fidèle, aussi fidèle que brave, et cela m'assure que tu sauras gagner et garder ce pain quotidien de nos âmes qu'est l'amour véritable. Tu sais également déjà que rien d'autre dans la vie n'a de l'importance. Je suis donc tranquille, nous sommes tranquilles, Thea et moi, pour ton bonheur et celui de Jacques. Je te promets que j'y penserai chaque jour avec une ferveur particulière. Embrasse tendrement ton mari de notre part; car avec lui aussi je me considère désormais en quelque sorte comme lié.
Les violettes que tu as incluses dans ta dernière lettre m'ont touché beaucoup et je les conserverai dans un de mes livres que j'ouvre le plus souvent, où elles m'évoqueront le souvenir de l'après-midi, quand avec des violettes dans ta main tu me portais la nouvelle si douloureuse alors pour toi et pour moi, mais à laquelle nous pouvons penser maintenant avec la plus chaude reconnaissance. Aussi certain que je suis que Fofo m'accompagne toujours avec ses conseils, avec ses vœux bienveillants, aussi certain je suis que Josquin t'accompagnera avec le grand pouvoir de sa bonne volonté envers toi, avec ses désirs de te voir heureuse. Ce n'est pas pour le présent qu'il s'est sacrifié. C'est pour l'avenir. Et cet avenir de bonheur est aussi ton avenir.
En ce qui concerne notre petite Odile et ma musique Donald te mettra sûrement au courant. Tu pourras lui raconter que si ma Ve symphonie ne sera pas encore jouée à Londres, la IVe du moins sera jouée le 10 Juin à Rotterdam. Du point de vue "renommée" et "célébrité" cela a moins d'intérêt que Londres sans doute. Mais c'est tout de même un "début" qui comptera. Je ne sais pas encore si l'audition sera radiodiffusée. C'est la symphonie que j'ai commencée le 1er juillet 1940, le jour après notre retour de l'exode. Jour inoubliable comme tant de jours de notre passé. C'est un bienfait inappréciable, une grâce insigne, que je puis me souvenir du temps révolu avec gratitude. Cela redouble le courage et l'amour. Il en sera de même pour toi.
Tu as très bien agi en continuant tes leçons de chant et de piano, quoique tu n'aies plus l'occasion de t'exercer. Dans quelques années (et ça passe si vite!) tu auras un petit garçon ou une petite fille à qui tu enseigneras les premiers principes de la musique. Ton enfant réalisera ce que tu as rêvé pour toi. Et tu verras que c'est la même chose, qui te donneras probablement encore plus de satisfaction.
Oui, en certain sens c'est dommage que M. le curé Besles ne bénira pas votre mariage. Mais pense que le sacrément sera aussi valable, et aussi valable la promesse que tu feras à Jacques. Tu verras peut-être encore M. Besles, qui a béni l'union de Thea et moi. Dis-lui que nous avons une fille bien vivante, très forte, très joyeuse, qui ne se réveille jamais sans un sourire ou un rire tout à fait content!
Nous aurions voulu vous envoyer un beau bouquet de fleurs. Mais les deux jours de Pâques rendent ce dessein trop hasardeux. Pour tes épousailles, chère Aline, nous serons quand même à Louveciennes en pensée.
J'espère que tu continueras de nous donner de vos nouvelles, surtout quand vous serez en Afrique. Nous vous embrassons avec le vœu: vive votre avenir, et vive la France.
De tout cœur,
Thea et Matthijs
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