MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19480708 Matthijs Vermeulen aan Donald Van der Meulen

Matthijs Vermeulen

aan

Donald Van der Meulen

Amsterdam, 8 juli 1948

Amsterdam

Heerengracht 330

le 8 juillet 1948

jeudi après-midi

Mon cher petit Donald,

Il faut que je tienne la promesse que je t'ai faite hier, quoique je n'ai peut-être pas assez de temps. Car il y a déjà 2 heures et ½, et à 4½ il faut que je sois rasé et habillé pour aller à la réunion hebdomadaire que tient régulièrement à ce jour la rédaction du journal pour lequel je travaille, et où je peux difficilement m'abstenir. Mais démarrons ensemble quand même, bien que le sujet sur lequel je veux t'écrire soit difficile.

Tu me demandes si je t'ai écrit quelque chose sur le dessin que tu m'as envoyé pour mon anniversaire. D'abord une remarque: tu m'as envoyé deux dessins, un grand et un petit. Le premier représentait un petit temple à élever dans un endroit du parc de Marly que nous connaissons bien, le second un paysage dont j'ignorais la situation, mais avec lequel étaient liés des souvenirs à toi.

Maintenant la réponse: Oui j'ai dit dans une courte lettre mon plaisir de le recevoir de toi ce beau cadeau, qui me témoignait d'un si bon cœur, comme est le tien.

Mais je ne les ai pas accrochés à une des étroites parois de ma chambrette, (et je ne sais pas si tu l'as observé lorsque tu étais ici) comme j'avais fait avec ce calendrier que tu m'avais peint quand tu avais onze ans, où je trouvais beaucoup de talent et de promesses, et que j'ai gardé toujours (bien qu'il se fût fort déteint à la longue) dans ma chambre de Louveciennes.

Je ne trouvais pas assez de progrès et trop de défauts dans les dessins que tu m'avais faits cette année avec tant d'amour et de bonne volonté, et j'ai regretté ça beaucoup. J'avais voulu t'entretenir amplement sur ces choses, mais je n'avais pas le temps en février (ayant juste commencé mon nouveau bouquin) je croyais que cela ne pressait pas, et ensuite est venue ta maladie.

A présent il faut que nous abordions cette question, car tu me demandes aussi, après avoir exécuté cette maquette dont tu me parles: A-t-on le droit de faire cela?

Je réponds: Certainement tu as le droit de faire cela. Mais à condition que tu fasses tout ton possible, que tu aies pris toutes les mesures, les précautions nécessaires pour réussir dans la mise-en-œuvre, dans la réalisation de tes plans, de tes rêves. Cela veut dire: Tu peux rêver maintenant de faire de belles choses, et tu peux te les imaginer en songes, mais tu ne peux pas croire que tu les exécuteras sans avoir d'abord fait de longues et dures études. Ce que l'on rêve à vingt ans (il est beau de pouvoir le rêver; c'est une grâce) on ne l'exécute pas avant d'avoir 30, 40, 50, 60 ans, et après s'être exercé sérieusement. C'est une grande grâce de rêver ces belles choses dans sa prime jeunesse, mais c'est aussi une grave souffrance quand on se voit impuissant de les matérialiser. Il me semble que tu as souffert, que tu souffres peut-être encore beaucoup de cet étrange mal de ne pas pouvoir réaliser ce qu'on veut, et je puis très facilement m'imaginer, me représenter ces douleurs, car moi-même lorsque j'avais environ ton âge j'en ai souffert considérablement, et sans exagération je peux dire que j'aurais très bien pu en devenir maboul. Mais heureusement j'ai vu aussi ce qui me manquait et je me suis jeté dans les études, dans le travail préparatoire, comme quelqu'un qui se flanque dans l'eau.

Et voilà ce que tu auras / as à faire: Ou bien bannir ces rêves, ne leur accorder aucune influence dans ta vie, sauf que cela peut donner de l'agrément, de chaudes sensations, mais ne pas désirer leur réalisation; – ou bien t'imposer franchement toutes disciplines qui sont indispensables, inévitables pour une bonne réalisation, expression des pensées et des sentiments que tu as dans ta tête et dans ton cœur. Donc: commencer de sérieuses études et les poursuivre avec courage et acharnement. Ne penser à rien d'autre que ceci: comment faire, et tout faire pour réussir à 30, à 35 ans le projet magnifique qui maintenant me tracasse. L'oublier complètement ce projet jusqu'à ce que tu possèdes le pouvoir de l'exécuter. Il reviendra alors! Donc si tu veux faire de la sculpture: aller chez un sculpteur, te mettre manœuvrier chez lui, demander des leçons, apprendre, travailler. Pour la peinture, pour l'architecture la même route. Apprendre bien le dessin, travailler avec acharnement. Apprendre. On ne reçoit rien gratuitement. Il faut tout conquérir avec méthode, avec volonté systématique.

Le temps est passé. Mais je crois t'avoir dit ce que j'avais à te dire. Parle aussi de ces choses avec Christian. Tu peux lui donner à lire cette lettre. Il pourra t'aider. A la semaine prochaine maintenant. J'attendrai avant de t'écrire de nouveau, ta réponse. Tu auras ma lettre samedi-soir encore j'espère. Tu passeras le dimanche avec, et tu la considéras comme si je te faisais une visite. Je souhaite que dimanche il fasse beau chez toi, extérieurement et intérieurement. Plus beau qu'ici, car chez nous il pleut continuellement depuis des jours et ça a l'air de durer. Prends ce que je te dis en bien, en réfléchis-y calmement. J'ai beaucoup de confiance en toi. Demain il faut que j'écrive à Aline, à Roland, à Anny. A la prochaine. Je pense tout le temps à toi, je t'aime bien et je t'embrasse avec maints bons baisers,

ton

Theys

et Thea de même!

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA