MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19480613 Matthijs Vermeulen aan Donald Van der Meulen

Matthijs Vermeulen

aan

Donald Van der Meulen

Amsterdam, 13 juni 1948

Amsterdam

Heerengracht 330

le 13 juin 1948

mardi après-midi

Mon cher petit Donald,

Me revoilà avec un jour de retard. Hier je n'ai pas pu t'écrire puisque mon article hebdomadaire m'a coûté plus de peine que d'ordinaire, et parce que, quand je le croyais fini, il y avait pas mal de choses à corriger.

Entre temps j'ai reçu une lettre très remarquable du Dr Francis Charles Weinstein, l'oncle de Trudi à New York, qui m'envoie également trois lettres de Trudi, afin que je prenne connaissance du caractère et de la nature de Trudi. Car (pour t'expliquer cela) j'avais écrit à l'oncle Honies, qui me demanda de conseiller à Trudi de quitter la France, je lui avais répondu que je ne connaissais pas suffisamment Trudi pour oser lui donner des conseils aussi importants, mais qu'il me sembla que son devoir était de rester auprès de son mari. Trudi, en attendant, était partie pour Vienne, et comme je te l'ai déjà dit, j'approuve et je comprends la décision qu'elle a prise pour elle et pour Clarisse. Ce qui, après coup, me semble fantastique et douloureux à penser, c'est que les malheurs de Roland ne seraient pas arrivés s'il avait voulu recueillir fraternellement Trudi et son enfant, car, avec Trudi et Clarisse "sur ses bras" il aurait eu certainement les deux ou trois secondes de retard qu'il lui fallait ce dimanche du 23 mai pour éviter la terrible catastrophe. Peut-être je lui en parlerai un jour. Pas encore maintenant. Il le regretterait trop amèrement. Comme les événements dans une vie tiennent souvent à ce qu'on appelle "peu de chose"!

Mais tu dois être assez curieux de l'impression que m'ont fait ces trois lettres de Trudi. Eh bien, mon chéri, j'ai conçu la plus haute estime, et une très vive sympathie pour elle. J'ai grand regret de n'avoir pas su plus tôt qu'elle a l'âme si sérieuse, si intelligente, si calme, si douce et si résistante. Tu as eu tort en négligeant de mieux me renseigner sur elle. Et Trudi a eu tort aussi de se tenir tellement éloignée de moi et de Thea. Car imagine-toi: C'est par l'oncle Weinstein de New York que je reçois enfin son adresse à Vienne!!!

Il y a pourtant dans une lettre de Trudi des choses qui pèsent mille fois plus et qui m'ont extrêmement frappé, qui m'ont rendu véritablement impatient de t'y répondre, car j'ai comme un sentiment que beaucoup en dépend.

Je vais te citer, mon petit: "Wenn Donald seine klaren Tage hat, dann sagt er immer: Weine nicht, denn was ist das Leben? Die Ewigkeit ist alles. Weine nicht, und trockene gleich die weinende Augen; was Du in dem Sarg verläszt ist nicht eine Thräne wert. Nur eine einfache Muschel vom Meer ist es aus der die Perle weg ist. Die Muschel war nichts – verlasse sie! Die Perle, die Seele war alles, sie ist hier." – So sprach er immer und ich fand es richtig. Aber nun...?

Tu as bien lu? Relis alors encore une fois. Réfléchis et réponds moi: Où serait la perle, et comment deviendrait la précieuse, l'infiniment précieuse perle, si la pauvre huître de mer que tu oses dédaigner, n'avait pas été là pour donner à la perle, à l'âme, son corps?

Tu as commis une très grave erreur en ne pensant pas à ceci: Si l'Esprit Créateur, qui nous a faits, a voulu donner une forme tangible, un corps matériel à toutes ses pensées, en créant les plantes, les arbres, les fleurs, tous les animaux des mers, des terres et des airs, cela peut être seulement parce que Lui a jugé que la pensée, c'est à dire une étincelle de son âme, n'acquiert sa pleine valeur et toute sa vertu, que quand elle s'exprime, quand elle se manifeste dans une forme. A moins de supposer que Lui, l'Esprit Créateur, s'est trompé (ce qui est insensément stupide) en créant des formes animées, en joignant des âmes à une matière périssable, - personne au monde ne peut contredire à mon raisonnement. Lui ne s'est pas trompé! Il s'ensuit que pour Lui d'un aussi haut prix que l'âme, et j'ose même dire d'un beaucoup plus haut prix. Car l'âme a besoin d'un corps. La perle pour devenir a besoin de l'huître. Et l'âme doit aimer le corps. Elle l'aime, et passionnément, pour pouvoir devenir de plus en plus efficace, de plus en plus parfaite dans sa puissance, jusqu'au jour où elle possédera pour l'éternité son corps glorieux qui ne périra plus.

Voilà ma Foi. Mon livre L'Aventure de l'Esprit traite entièrement sur ce sujet: Lui ne s'est pas trompé en créant la Vie. Rien n'est plus merveilleux, plus adorable que la vie et Il nous a faits pour collaborer avec Lui, afin de mener ses desseins à leur grand terme: le bonheur d'une âme dans un corps qui ne finiront plus, qui ne se sépareront plus, quand la mort sera définitivement vaincue.

Je sais que plusieurs "sages" ont enseigné, ou paru enseigner le contraire. Mais je rejette carrément ces enseignements. Car Lui, en créant, n'a pas pu se tromper. Tout simplement. Mais ce point de vue est le seul qui jusqu'ici a échappé aux "sages". Je n'y puis rien. Mais je dis fermement que cette erreur a assez duré, et a causé assez de malheurs.

Réfléchis bien à ces choses, mais commence par me croire. Et s'il y a un aspect de la question qui ne te paraît pas clair demande moi conseil. La vérité que je possède ne m'est pas venue facilement ni toute seule. Il m'a fallu ma vie entière pour obtenir cette clarté, et je crois que sans ta mère, qui avait laissé loin derrière elle tous les bouquins qu'elle avait consulté, je n'y serais probablement jamais arrivé. Cette vérité première est maintenant bien établi en moi, et tu peux t'y fier.

Alors mon petit Donald répare tes erreurs, ne cause plus de larmes, sèche les yeux qui pleurent en les aimant, et avec la certitude qu'il n'y aura jamais rien de plus admirable, de plus adorable sous le ciel et dans le ciel qu'une belle âme possédant un beau corps, se réjouissant ensemble, l'âme du corps, le corps de l'âme, et s'aidant ensemble. Je t'embrasse tendrement

ton Miaou

Et Thea de même, qui vient de recevoir ta très bonne lettre. Merci.

Voici l'adresse de Trudi:

c/o Anna Michalewicz

Freytaggasse No 12

Stiege 25

Wien XXI

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA