MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19480308 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen en Thea Vermeulen-Diepenbrock

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs en Thea Vermeulen

Louveciennes, 8 maart 1948

Louveciennes le 8 Mars 1948

Cher Thys, chère Thea,

Avant hier je vous ai envoyé ma lettre que j'avais commencée le 23 Février. Déménagement, grippe, travaux nocturnes, beaucoup de choses ont retardé ma correspondance. Ce soir enfin assis à mon bureau (... de poste) dans une pièce bien éclairée aux murs ocre clair je peux vous écrire tout à mon aise comme je le préfère. Les travaux préliminaires dans ce vieux grenier sont terminés ou presque. Les murs ont une couleur nouvelle ce qui rend le tout bien agréable quoique l'électricité soit provisoirement installée, qu'il n'y ait pas d'eau ni de gaz. Le propriétaire qui est Claxton laisse les frais aux locataires pour se donner le confort – Battedou en a déjà eu pour 25.000 fr et n'a pas fini. Et moi... j'ai à peine commencé – Tu vas me dire c'est du banditisme de la part du propriétaire. C'est à prendre ou à laisser – je suis si content de me caser dans un coin du monde où j'ai un "chez moi" (dont tu parles avec tant d'aspiration dans ta dernière lettre) que je n'ai pas fait le difficile. Oui! que j'irai atterrir en face de notre vieille école qui n'est plus d'ailleurs comme tu sais, je ne l'aurais pas cru non plus. Et j'en ai tiré une pensée qui m'est bien chère et réconfortante – C'est qu'une fois au moins, oh! certainement une fois, peut-être plus même, le pied de notre chère Fofo a foulé ce seuil que je franchis maintenant plusieurs fois par jour. Cette porte de cette vieille poste dont le volet claque depuis des années avec un bruit que je connais aussi bien que la grille de la Bicoque, cette porte elle l'a poussée et est entré chez moi. Toi aussi tu y es entré, mais toi, tu as le temps d'y entrer, bientôt même je l'espère cet été peut-être…

Tu veux que je te décrive la Bicoque. Ah! je l'ai bien regardée cette vieille amie et pourrais t'en noircir des pages. Je crois te l'avoir déjà écrit, le crime a été qu'ils ont abattu notre grand sapin, cet fierté qui nous attendait de loin lorsque nous revenions du Trou d'Enfer, ces quelques plumes de vertes branches autour de ce fin mât, tué, tout cela, parti. Heureusement le sombre thuya tient bien le coup. Les tuiles ont noircies et ta gouttière qui inondait ta chambre a été refaite ainsi que ta fenêtre qui s'effritait. En bas le saule pleure toujours et sur la pelouse notre banc repose encore et nous attend. Lorsqu'on passe ses yeux dans les fentes de la grille un grand chien loup noir jaillit et aboie. Le premier soir que j'ai revu la Bicoque le chien se dressa à la fenêtre de la chambre de Josquin et me regarda curieusement de son haut. Je ne faisais pourtant aucun bruit dans la rue. Je venais de regarder la cuisine où l'on aperçoit de la couleur bleue ainsi que dans la salle de bain – les rideaux manquent toujours comme par le passé. Une autre victime fut aussi le marronnier du hangar. Il y a laissé aussi des branches. L'écriteau que j'avais orné de quelques feuilles vertes et repeint de "La Bicoque" n'est plus à sa place. Et pourtant l'attrait de cette maison reste le même pour moi animal – Il m'est arrivé une fois, un soir que je revenais chez Louise à dix pas de la grille, d'être enfoncé dans mes pensées au point de me laisser guider comme par un bon vieux cheval, et de me diriger droit sur la grille. Je regrettai seulement de me réveiller avant d'avoir ouvert la grille. Ou bien le matin en prenant le virage en face de la salle de bain j'ai envoyé encore un baiser à Fofo, et plus loin à toi près du lavoir – ou bien le soir quand il fait nuit je lève tout à coup la tête vers la Bicoque et vois une lumière dans l'office, et passant en revue notre famille je me demande: qui peut donc être là en ce moment. Dans toutes ces années de jeunesse passées dans cette bonne maison il y a une chose qu'il faut que je réapprenne: sentir la nature comme tu nous l'a appris dans notre jardin – n'ai-je plus cette vitalité ou bien ai-je perdu de cet art. Je m'aperçois au seuil de ce printemps que je n'arrive à capter que des relan[ces?] de ce bon parfum – Ça reviendra. En attendant honneur et bénédiction au père qui nous donna une si belle jeunesse! je ne le dirai jamais assez pour couvrir les voix geignardes –

Oui Clarisse reprend bien grâce aux bonnes choses que vous nous avez envoyées. Ce qui lui manquerait je crois sont des jus de fruit – et ici le Nestlé que nous lui donnons de temps en temps est si cher. Peut-être est-ce meilleur marché chez vous – Oui Thys ton colis est bien arrivé par avion du moins c'était marqué dessus mais du Bourget à Noyon ça prend le chemin de fer – En tout cas il a été rapide.

Pourquoi me dis-tu que je me suis fait voler avec mes florins pour des francs belges. Ton florin vaut moins que le franc belge du moins dans ce temps il était ainsi à la bourse pour 20 florins qui me restaient j'ai eu 150 frs. belges – tu trouves ça volé? La marchandise que j'en ai eu ne revenait pas trop cher – J'aurais pu en avoir 1000 fr. français – Et la comparaison n'était pas mauvaise. Enfin laisse ton cœur se soulager...

Oui les merles sifflent de nouveau le chant du printemps et la fraîcheur humide de la terre monte aux narines ainsi qu'à l'âme. Je suis bien sûr que tu en payerais bien des choses pour une matinée de printemps à Louveciennes. Ah si ça pouvait se transmettre par radio, je te monterais un metteur tout de suite tant cela est beau. Félicitations dans le domaine ponte.

Je vois que ta mansarde reste inspiratrice d'ailleurs elle a tout pour cela.

Que c'est drôle que tu demandes des nouvelles de Hess quelques jours après sa mort. N'est-ce pas qu'il avait un lien, une corde avec la famille que l'on peut faire facilement vibrer à cette heure – Pour un peu je serais allé au cimetière – Je voulais étudier les effets cinématographiques. Enterrement décor de neige – Classique – Dommage j'avais déjà une bonne grippe –

Cher Miaw, je t'embrasse très fort et suis bien heureux d'avoir eu une lettre de toi aujourd'hui. De plus ai passé une bonne soirée avec toi. Le temps des ballades au Trou d'enfer reviendra bien. Bons baisers à Thea –

Donald.

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA