MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19470718 Matthijs Vermeulen aan Donald Van der Meulen

Matthijs Vermeulen

aan

Donald Van der Meulen

Amsterdam 18 juli 1947

Amsterdam

330 Heerengracht

le 18 juillet 1947

Mon cher Donald,

Voilà une douzaine de jours déjà que j'aurais dû te répondre à ta lettre du 27 juin. Mais justement le temps des vacances commençait à poindre. Enfin on pouvait garder pour soi quelques soirées pendant une semaine. Les concerts presque finis. Le livre chez l'éditeur qui en est plus que content, heureux comme il dit, et qui a l'intention de le faire paraître encore cette année. Donc moins à travailler, et pas encore des soucis nouveaux. Car le travail ce ne serait rien, s'il n'y avait pas le souci de l'exécuter le mieux possible. Alors du loisir! Mais tu t'imagines bien que les premiers jours où nous fûmes libres, nous avons sauté dehors dans l'été splendide, qui, pour cette année, nous ravit presque continuellement. Nous sommes partis à la découverte d'Amsterdam et de ses environs, comme si nous ne les avions vus jamais, ce qui est le cas d'ailleurs. A pied, en autobus, souvent en bateau, ou même en tramway. Nous avons trouvé des choses très charmantes et rares. Mais il me semble qu'on quitte la ville ici beaucoup plus difficilement qu'on ne quitte Paris. Autour d'Amsterdam il y a de la banlieue pendant des kilomètres et des kilomètres. Bien sûr aussi à Paris. Mais pourtant, on ne met pas plus de trois quarts d'heure, une heure au plus, pour aller du cœur de la grand'ville au cœur de la forêt de Marly. Quelque chose dans ce genre me semble ici impossible. Je crois aussi que, si je devais me balader seul dans les parages d'Amsterdam, et si je n'avais pas la compagnie d'un être exquis comme Thea, les promenades ne me donneraient pas longtemps la satisfaction que je pourrais en espérer. La vie dans la Hollande s'est passée pendant des siècles sur un tout autre niveau et dans un tout autre rythme qu'en France. Cela se laisse lire dans la moindre petite église, dans chaque bâtiment. Non pas qu'il me manque quelque chose. Non, car je ne cherche rien, au dehors. Mais quand je trouve quelque chose, ce n'est jamais ce que j'aurais pu chercher, ou ce que j'aurais voulu trouver. C'est assez bizarre. Au début je ne m'en rendais pas compte. Je regardais tout avec les yeux d'un étranger. Depuis quelque temps je m'aperçois de plus en plus comme je suis profondément déshabitué de mon pays natal. Ce n'est pas commode à expliquer cela. Car en somme je suis bien Hollandais. J'écris par exemple une prose néerlandaise que tout le monde s'accorde à juger excellente. Néanmoins, rien pour ainsi dire, ici ne me parle, ne me parle vraiment, directement, ce qui s'appelle parler, tandis que pour ainsi dire chaque pierre me parlait en France. C'est véritablement bizarre! Heureusement pour moi que je n'ai rien à chercher au dehors! Serait-ce par hasard à cause de cela?? Quand je me mettrai à chercher, je trouverai peut-être, probablement?!

Mais quittons ce sujet. J'ai reçu nouvelles, photos et dragées de Roland. Comment a-t-il pu perdre mon adresse! Il ne garde donc aucune lettre de moi, pendant que je garde les siennes? Le plus curieux, en ce qui me concerne: je n'ai encore aucune envie de revoir la France. Je ne sais donc pas si je le reverrai bientôt avec le petit Bernard. Je te remercie en attendant d'avoir remis Roland sur ma piste. Aussi d'Anny nous avons reçu des lettres. Il se peut que je lui écrive demain. Dis le lui déjà. Tout à son temps. Je n'ai pu jusqu'ici qu'envoyer une carte postale à Roland. Il y a toujours tant à faire et je déteste autant qu'autrefois le papier blanc. Je me réjouis de la bonne santé de Trudy. Ne t'inquiète pas de ces légères douleurs dans le dos. Elle doit prendre régulièrement du mouvement, autant qu'elle supporte sans fatigue. Mais plus de sports! C'est très gentil, pour ne pas dire plus, n'est-ce pas? de sentir bouger et frémir sous la peau une nouvelle vie déjà impatiente qui commence. Tu as laisser examiner Trudy je pense par un docteur ou doctoresse pour savoir si tout se présente bien? C'est toujours utile. Mes pensées vous accompagnent sans cesse. Quant à ton engin nouveau je me demande encore ce que cela peut être comme machinerie et tu ferais bien de m'en donner quelque idée.

Voilà mon vieux. A la prochaine. Fais-nous donc un grand plaisir. Envoie un tabac à Dr M. Gmachl, Pfarrei, Henndorf, bei Salzburg. C'est un curé, vieil ami de Théa, deux fois emprisonné par les Alboches, qui a assez à manger, mais à qui manquent "la précieuse herbe de Nicot"! Je compte sur toi pour lui faire sans retard ce plaisir. N'oublie pas la compensation d'Azaïs. Sa loi vaut aussi en ce domaine!

Avec ça, et en te remerciant, nous t'embrassons de tout cœur, et également ta Trudy. Par surcroit tous nos vœux,

de Thea et Theys

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA