MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19470221 Matthijs Vermeulen aan Donald Van der Meulen

Matthijs Vermeulen

aan

Donald Van der Meulen

Amsterdam, 21/22 februari 1947

Amsterdam

le 21 Février 1947

330 Heerengracht

Mon cher petit Donald,

Tu dois te demander depuis plusieurs semaines ce que devient tel gros matou dormant au coin d'un feu et qui s'inquiète pas si dehors il neige. Je reviens de lire cette grande lettre de six pages, qui commençait par cette nostalgique image d'un raminagrobis dans ton home. Ma foi, elle date du 22-1. C'est plus qu'une éternité. Et si tu n'avais pas de si belles et si exaltantes distractions que celle dont tu m'écrivais ce jour, tu t'inquiéterais peut-être sérieusement. Mais je n'y puis rien mon brave skieur. La vérité est qu'ici nous sommes aussi dans la neige et le froid, depuis plus de six semaines. Je sors chaque jour! Mais pas en skis. Et quinze jours ici s'en vont encore plus vite, je parie, que deux semaines pour toi et ta charmeuse Trudi au Vorarlberg. Et maintenant c'est moi qui pourrais m'inquiéter. Si par hasard tu avais rencontré un tronc d'arbre sur tes chemins neigeux? On peut avoir une foi téméraire. Fais attention. Tu me raconteras un jour ce que tu entends par les conseils que je te donnai quelques jours avant ton départ sur la route de Versailles. Non que j'oublie, je crois. Mais nous avons fait dans ce temps merveilleux plusieurs balades. En écrivant d'ailleurs tu as donné à Théa bien envie de la neige et de la montagne! L'hiver à Amsterdam n'est pas plaisant. (Mais mille fois plus plaisant qu'à Louveciennes!) J'ai cent raisons de remercier le ciel d'être ici. Mais n'empêche que je serai encore plus content et heureux quand le printemps arrivera.

C'est affreux de t'avoir laissé tant de jours sans lettre. Je t'en demande pardon. Mais l'autre cause pourquoi je ne t'ai pas répondu plutôt, était chez la petite sœur. Je lui ai écrit pendant ce temps plusieurs fois. Chaque semaine j'ai cru qu'elle allait partir vers toi. Encore il y a huit jours je lui expédiai une lettre à Noyon (où elle n'est plus maintenant) avec prière de te la faire parvenir. Mais l'a-t-elle eue? Elle est brusquement partie pour Paris, chez les Onnens, sans me donner des éclaircissements sur son départ. Je n'y comprends rien. Il paraît que Roland aussi a encore une fois changé de destinée. Je n'y comprends rien. Je n'ai pas encore de nouvelles de lui. Ma lettre qu'elle devait t'envoyer contenait de demandes de précisions sur ce qu'il lui fallait, et quand il lui fallait cela. Les Onnen ont été ici depuis. J'ai donné à Lia cent florins (c'est environ quatre mille francs) pour les lui remettre et changer. Mais c'est très hasardé comme tu comprendras. Je t'écrivais aussi que ce sera très difficile de lui faire parvenir (à Anny) régulièrement de l'argent, soit en France, soit en Autriche. Les moyens que tu proposes doivent être quelques fois possibles. Mais pas souvent. Pas régulièrement. Il y a très peu d'artistes hollandais qui vont en Autriche. Théa a fait une démarche, mais qui n'aboutira probablement pas. Les artistes qui vont en Autriche se font de préférence payer en livres sterlings, paraît-il. (C'est malin, les artistes!) Je disais aussi à Anny que pour ses finances en Autriche je comptais surtout sur toi, que de la sorte tu aurais un petit livret de caisse d'épargne en forme de dette sur moi que je te rembourserais plus tard quand la situation internationale sera devenue normale. – Je n'ai pas compris ton Lebensmittel-truc avec la Suisse, mais Nénesse1 doit venir ici le mois prochain et je lui en parlerai. En attendant j'espère qu'ici là Anny sera chez toi. Mais nous n'avons pas de reproche à nous faire – me semble-t-il – ni toi, ni moi. Car qui pouvait prévoir lorsque nous sommes partis qu'elle ne se ferait nonne qu'avec un retard considérable?! Et la dureté de Roland! Il est bien dans mon intention d'aider Anny autant qu'il est dans mon pouvoir. Mais ne croyez pas non plus que je suis déjà devenu un Crésus. Le matou se promène toujours dans son vieux pelage, c'est-à-dire l'équipement l'accoutrement militaire que j'ai de toi. Puisse-t-il ne pas s'user trop vite!

Samedi le 22.

Rien de neuf pour le reste. Il neige! Du grand silence mon poêle électrique me fait un paradis. Au commencement j'ai eu des dizaines de pannes qui me replongeaient dans le noir de l'autre hiver à Louveciennes. Mais depuis plusieurs semaines cela a changé et je reprends confiance même dans l'électricité. Je ne serai tout à fait tranquille qu'à la fin du froid car le compteur doit dépasser phantastiquement la ration licite, et nous n'avons rien d'autre pour nous chauffer que ce petit poêle. Pas même de cheminée. Enfin, je n'ai pas encore eu d'embêtements et je travaille avec régularité; c'est le principal. Avec l'amour!

Je ne peux pas avoir les disques de la Sonate pour Violoncelle que je voudrais bien te donner, ne fût-t-il que pour le prestige de l'auteur de tes jours! Une ancienne élève de Nénesse m'écrit que la Sonate a été également enregistrée pour le Radio Suisse. Bien sûr que je lui ai demandé les disques; mais elle non plus ne peut pas me les procurer. Je voudrais bien entendre moi-même ce que cela donne dans un grammophone et comment j'ai été accommodé! La symphonie ne sera pas jouée avant la saison prochaine. Tu peux donc voir venir si tu veux y assister, et moi itou, heureusement, car j'ai la tête ailleurs, et pas encore à la musique. Quoique Thea et moi entendions des douzaines de concerts, souvent deux par soirée. Si nous comptons il doit y avoir eu six ou sept de vraiment bons et ragaillardissants. La journalistique continue de marcher à souhait. On me lit encore avec un certain intérêt certain, et même avec une certaine passion certaine. Et pour le physique. Frank Onnen prétend que j'ai considérablement rajeuni!! Tout va donc bien. Mais pensons-y toujours et soyons sur notre garde. T.V.B disait notre Josquin; et j'ose parier qu'il le pensait encore au moment où… J'ai reçu de son commandant la demande d'une photo de Josquin pour un livre sur le Premier Commando Lourd de France. Je la lui enverrai.

Comment vont tes études? J'y pense souvent. Et j'y tiens beaucoup; autant qu'autrefois. Ce serait impardonnable de ta part, et tu le regretteras amèrement si tu ne profites pas de chaque occasion qui se présente pour t'instruire avec acharnement. J'ai passé ma jeunesse autrement que toi; je n'ai pas eu le millième de tes plaisirs, de tes distractions, même pas de tes joies profondes. Mais je ne le regrette pas. Je m'en réjouis plutôt.

Cela fait tout un article cette lettre. Embrasse maintenant ta Trudi si elle est là, et qu'elle le mérite ou non! Mais travaille. Si je l'appelle coquine charmante, il n'y a pas de malice là-dedans; ce n'est qu'une taquinerie innocente. Je vais essayer de trouver mieux. Riez ensemble. Mais travaille.

Merci de tes vœux pour mon anniversaire. Dire que je suis entré dans ma soixantième. Enfin, je ne serai plus quinquagénaire! C'est en tout cas ça de gagné!

T.V.B! Ecris vite.

Nous t'embrassons bien,

Théa et ton

Miaou

A l'Etat Néerlandais je dois 4011.13 florins pour les années 1941-1946; c'est-à-dire cent soixante mille francs environ! Ça presse pas heureusement. Mais tout de même, ça représente un petit poids! Et qui sait si je ne recevrai pas un jour une note de Monsieur Lagarenne?!2

Mais vive l'avenir!

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA

  1. Nénesse: kinderlijke verbastering van de naam van Ernst Levy.
  2. Lagarenne: huiseigenaar van La Bicoque, Louveciennes.