Matthijs Vermeulen
aan
Aline Leduc
Amsterdam, 27 december 1946
Amsterdam
330 Heerengracht
le 27 déc 1946
Chère Aline,
Comme toi j'ai été bien occupé par le travail et j'espère également que tu m'excuseras de ne pas encore avoir répondu à ta bonne lettre du onze novembre. Je l'attendais! Mais sans impatience, et j'ai vu avec beaucoup de plaisir que tu as tant de choses à faire et que tes études musicales progressent si bien et si régulièrement. Quand nous viendrons à Louveciennes je ne manquerai pas de venir à la Grand' Messe pour t'entendre sur l'orgue ou pour te voir conduire le chant. En pensant à cela je voudrais te demander de dire à Monsieur le Curé, la première fois que tu le verras, quel agréable souvenir Théa et moi nous avons de lui et de traduire à M. Besle nos meilleurs vœux pour l'année qui va commencer. Nous aurions bien voulu lui écrire mais je ne sais pas si nous trouverons le temps, car la sœur de Thea a déjà été plusieurs fois malade (ce n'est qu'une grippe tenace, heureusement pas plus) mais parce qu'elle reste seule dans sa maison cela donne Théa un surplus d'occupations inévitables qui coûtent beaucoup de temps.
Ici, dans notre petit grenier, sous les toits, tout va bien. Les journées seulement sont trop courtes. Pendant la matinée j'écris comme à Louveciennes jusqu'à environ deux heures de l'après-midi. Le soir nous avons en général un concert. Alors il ne reste qu'un petit bout de jour et de soir pour paresser un peu, lire un brin, se raconter des choses. Tu vois cela. Théa a ses études, ses leçons, son journal où elle écrit, son ménage, et pas mal de fois ses deux maisons! C'est magnifique. Mais j'aimerais bien des journées de 48 heures. A part ceci qui est introuvable, tout marche à merveille.
Comme vous nous avons déjà eu une grosse vague d'hiver. On a patiné sur les canaux d'Amsterdam. (Pas nous!) C'est amusant à voir. Ce qui me réjouit aussi beaucoup ici ce sont les bandes de mouettes qui survolent constamment la ville et qui se posent dans les rues ou sur les eaux comme des pigeons. Jusqu'ici je n'ai pas encore eu trop de soucis à cause du froid. Nous n'avons pas de cheminée et une de nos deux pièces n'est pas chauffée. Mais dans ma petite cellule tout à fait gentille j'ai un poêle électrique juste suffisant, très commode, et ici, jusqu'à présent du moins, le courant n'a pas encore été coupé! J'ai lu avec frayeur dans les journaux que chez vous c'est encore le régime de l'obscurité interrompue.
Merci des soins que tu as pour la tombe de Fofo. Merci de tout cœur. J'y pense souvent, ainsi qu'à l'autre tombe que je n'ai pas encore vue. C'est incroyable comme cela me semble loin, loin dans l'espace, et dans le temps. C'est à ne rien y comprendre. Mais je voudrais bien, ma petite Aline, que pour toi aussi le beau souvenir reste, et que pourtant il s'éloigne, sans qu'on le veuille, sans qu'on le comprenne, et sans qu'on cesse d'aimer ceux du souvenir.
Merci aussi des nouvelles de La Bicoque. D'ici j'ai vu les marrons et les feuilles tomber dans le jardin et dans la rue! J'ai bien compris ton sentiment en face de ces roses blanches. Ce n'est pas méchant!! Mais quand tu y passes, penses désormais: "Je cueillerai d'autres roses; quelqu'un cueillera bientôt d'autres roses pour moi."
Ma chère Aline, mes meilleurs vœux, nos meilleurs vœux pour toi, maintenant que commence une nouvelle année. Qu'elle soit belle. Présente nos meilleurs vœux également à tes parents. Tu féliciteras de notre part Robert, Juliette et Jean Claude (est-il déjà au piano?) pour la petite nièce que tu as. Bien sûr que tu diras Théa. Nous t'embrassons bien fort tous les deux. Ecris-nous vite. N'attends pas aussi longtemps que moi! Heureuse et bonne année, ma petite Aline, de
Théa et Theys
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