MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19450123 Matthijs Vermeulen aan Donald Van der Meulen

Matthijs Vermeulen

aan

Donald Van der Meulen

Louveciennes, 23 januari 1945

Louveciennes (S et O)

2 Rue de l'Etang

le 23 janvier 1945

Mon cher et bon Donald,

Bonjour! Qu'est-ce que tu dis des Russes?! En voilà des guerriers. C'est l'avenir de l'Europe, "la jeunesse du monde" comme ils disent "les lendemains chanteurs" – à moins qu'il n'y ait encore un formidable bec de gaz asphyxiant quelque part dressé à leur intention, chez les Anglo-Saxons de l'Ouest et même du Far Ouest, comme du temps des français de Napoléon. N'importe. Ils auront été admirables et magnifiques. J'ai bien envie quelques fois, quand j'ai beaucoup de confiance, d'appeler ma V symphonie: les lendemains chanteurs.

Comment vas-tu, diable! Rien de toi depuis huit jours.

Ici le petit train-train sans tralala; le vrai tortillard. Des histoires de chats. Des carottes; des pommes de terre. Et toujours ce pâle blanc de céruse sur la route, sur les toits, partout, que je déteste et qui me rend toute chose.

Le seul petit rien qui m'ait amusé depuis des temps c'est le concours de légendes pour dessins satyriques, à la radio de dimanche soir! Quatre dessinateurs vraiment spirituels donnent un dessin. Au public malin et rouspéteur de trouver les titres. L'autre jour: une Gretchen en souris grise qui présente un bouquet. Légende qui a eu le 1er prix: "Les Fleurs du Mal". Cette semaine un wagon de chemin de fer. Tout le monde a dessiné un wagon archi-bondé; des voyageurs sur le toit, sur les tampons, accrochés aux portes. Légende primée: Partir c'est (se) nourir un peu! J'ai quand-même dû rigoler. Tu connais la célèbre rengaine poétique: "Partir c'est mourir un peu." Elle n'est pas de ton temps, quoique, maintenant, partir c'est souvent mourir beaucoup.

Rien de neuf donc, et j'espère la même chose pour toi. Mon robinet coule interminablement et il me tape même sur le système. Si tu étais ici et un peu sarcastique tu m'aurais dit C'est les cinqbols de la vie. C'est du reste aussi ce que trouvrait Héraclite le philosophe lorsqu'il disait une fois pour de bon: Tout coule, tout coule.

Ma musique avance lentement; elle me donne des soucis effroyables et presque continuels. Je ne fais que corriger. Je pense qu'elle en devient meilleure. Mais c'est d'un labeur avec les doigts gourds, et c'est d'un cauchemar. Enfin, je fais ce que je peux, et même un peu plus.

Vivement un peu de printemps, que j'attends, avec le reste. Ce reste c'est surtout une lettre de toi. Tu ne dois pas être loin des canons et des mortiers, et de toute cette tragédie que j'ai mise en musique dans La Veille. Qui m'aurait dit il y a 28 ans que moi-même serais dans cette même situation d'attente... des jours, et des jours!

Ecris vite. Je t'embrasse fort. A après-demain

Ton

Thys

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA