Matthijs Vermeulen
aan
Nadia Boulanger
La Celle-Saint-Cloud, 15 of 16 oktober 1925
Chère Mlle B.
J'attendrai Mr Lyon avec le plus grand plaisir. Probablement il viendra en auto. Mais s'il prendrait par hasard le train qu'il m'avertisse de son arrivée. J'irai le chercher à la gare; ce sera du temps gagné.
S'il me demande un article ou des articles je tâcherai de les faire, quoique je n'aie jamais vu "La Revue Pleyel". Car supposé que je n'aie plus aucune envie de commencer par un duel, d'après les conseils de Stendhal et de Nietzsche, je crains que ce ne soit plus fort que moi et toutes mes bonnes intentions. Et encore: qui corrigera mon français? Ce sera nécessaire un certain temps. Pourrai-je le demander à vous?
Je me demande seulement s'il s'agirait d'articles sur la musique Hollandaise. En ce cas je devrai refuser: j'ai écrit assez sur les compositeurs et maîtres Hollandais et j'en ai été trop mal récompensé. S'il s'agit d'autres musiques ne craignez-vous pas des "imprudences"?
Jusqu'à la fin de cette saison je ne me brouillerai pas avec Koussévitzky. On peut toujours voir et attendre. C'est le plus sage. De son point de vue il peut très bien avoir raison. Vos conseils s'accordent d'ailleurs avec ceux que m'avait donnés ma femme sur cette affaire.
Il est très probable qu'Ernest Lévy s'est fâché avec moi. La cause ne sera pas Brahms ou Reger mais des camions américains usagés, n'importe dans quel état, qu'un parent de lui (également Suisse) nous proposait d'aller dénicher et marchander pour le compte d'une firme anglaise dans les garages français. J'ai eu le tort de traiter cette affaire avantageuse et internationale comme je croyais qu'elle méritait, sans penser à faire du mal. Mais la Sonate pour violon et piano restera à cause de ces malheureux camions sur la 2de planche près de la cheminée de votre salon.
Il ne me reste dans le monde musical donc personne que vous. Tant mieux. Combien je voudrais partager votre immense certitude à mon sujet et combien me réjouirai-je pour vous quand elle commencera de se réaliser. Moi, hélas, je l'ai seulement dans les minutes où "la musique me prend comme une mer". Ça me suffit après tout, bien sûr, mais avec la certitude spirituelle je voudrais recouvrer cette certitude simplement humaine. Vous êtes admirable quand il y a du cœur à remonter. Et même sans aucun résultat matériel votre appui, unique jusqu'ici il est vrai, mais un appui que je puis croire sincère et fondé sur votre intelligence des choses musicales, représente pour moi une valeur qui joue son rôle peut-être indispensable: où en serais-je aujourd'hui sans cet appui? Oserais-je douter par surcroît que petit à petit vous finirez avec votre autorité, avec votre persévérance par faire pénétrer ce que vous pensez être à mon égard une justice? Ce serait douter du sens même de ma vie. Il importe peu que cette justice arrive demain ou dans vingt cinq ans. Sans les difficultés de la vie matérielle cela n'importerait même pas du tout. Vous ferez toujours ce que vous pourrez j'en suis certain. Et si je désire une chose ardemment ce sera de pouvoir vous remercier un jour pas trop lointain avec des résultats qui sans vous ne seraient pas arrivés.
Bien à vous
M.V.
concept
Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA