Nadia Boulanger
aan
Matthijs Vermeulen
Parijs, 14 oktober 1925
[plaats en datum poststempel:] Paris 14-X 1925
Cher Ami,
Robert Lyon, un de mes très bons amis, voudrait bien aller vous voir un de ces jours – parler de vos œuvres, vous demander un article, ou plusieurs, pour la Revue Pleyel, (à titre professionnel, cela va sans dire) Ne vous dérangera-t-il pas? Il est en voyage et ne rentrera que d'ici à 3 semaines.
Au sujet de votre partition, je comprends complètement votre sentiment. Mais d'autre part, il est vrai que l'an passé, tout a été difficile pour Koussevitzky − et, dans l'histoire Bertrand, il a cru de bonne foi avoir entendu ce qu'il voulait entendre. Néanmoins, si vous préférez rompre nettement, ne vous sentez pas arrêté par moi. J'aime et admire votre caractère entier − pourtant, quand on considère une question sous différents angles, on s'aperçoit bien souvent ce qui est impardonnable d'un côté, s'explique d'un autre. Je ne sais pourquoi je vous dis cela, car c'est votre force de regarder avec vos yeux et il est nécessaire que vous n'admettiez pas les biais − Mais un homme est chose si compliquée − et on peut encore trouver en lui tant de bien, alors que pourtant on ne cesse de voir le mal, ou l'erreur.
D'où vous juger, comment espérer que les autres puissent juger − il faut que votre parole soit entendue − hélas, elle est de celles qui n'ont rien à craindre du temps, que l'attente. Tandis que vous luttez, en sentant votre puissance, elle se construit au dehors à votre insu − vous seul payez. Comme on se sent honteux. Je vous assure que mon impuissance diminue ma joie de vous écrire. Vous me pardonnez pourtant, j'en suis sûre − vous savez bien que c'est un véritable chagrin pour moi que de laisser perdre le privilège d'être parmi ceux qui croient à votre œuvre, qui lui doivent tant. Peut-être saurai-je me faire entendre. Vous n'aurez besoin de personne, bientôt je l'espère − mais la foi est impatiente et veut prêcher.
Cher Ami, à bientôt je veux le croire. A vous, en fidèle pensée
Nadia Boulanger
La Sonate est à votre disposition quand vous viendrez veuillez dire à Maman qu'elle est sur la 2de planche près de la cheminée du salon − je n'ose la laisser dans l'antichambre –
Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA