Matthijs Vermeulen
aan
Nadia Boulanger
La Celle-Saint-Cloud, 2 oktober 1923
La Celle-St Cloud (S. et O.)
1 Rue de Vindé
2 octobre 1923
Chère mademoiselle Boulanger,
Hélas, je voudrais bien que ce fût moi l'auteur de l'article du Telegraaf, que j'ai lu avec tant de plaisir. Puisque vous voulez m'attribuer quelque mérite ce serait le seul dont je serais parfaitement sûr. Mais il n'en est rien. L'auteur de ces lignes si gentilles est Mr Constant van Wessem, mon successeur au Telegraaf, mon ami et un admirateur dévoué de la musique française. Je suis si bien de son avis que je pourrais être l'auteur. C'est tout et que cela me console!
Comme vous voyez nous sommes encore à la-Celle-St Cloud. Le rédacteur en chef du journal où je serais critique musical s'est querellé avec le directeur qui me ferait gagner cinquante mille francs et l'entreprise qui s'annonçait très belle s'est effondrée irréparablement. Nous n'en sommes pas trop désolés. On m'a offert une situation de correspondant musical à Paris du même Telegraaf mais je ne sais pas si je l'accepterai. Je n'ai jamais aimé la critique musicale et les histoires que j'ai eues à Amsterdam m'en ont donné une aversion quasi insurmontable. Nous espérons que le pain quotidien continuera de nous arriver de manière ou d'autre sans toutes les misères de la critique.
Vous me comblez vraiment de bienveillance dans votre dernière lettre. Je voulais vous porter justement un de ces jours un Trio à cordes que j'ai fait pendant le printemps et l'été de cette année. Je puis dire que sans l'impulsion de votre bonté envers moi il n'aurait peut-être pas été écrit, car l'hiver passé j'étais profondément découragé. Si l'œuvre est bonne, si elle trouve un jour un éditeur, si vous ne le refusez pas je voudrais dédier ce trio à vous. Ce sera toujours un trop faible écho de l'effet qu'ont produit sur moi votre sympathie imprévue et vos lettres du commencement de cette année. En attendant voudriez-vous le voir ce trio et le critiquer très sévèrement? Votre approbation m'ôterait quelques inquiétudes qu'on a toujours et surtout après avoir copié pendant trois semaines. Pas besoin de vous dire que je serais heureux si la musique pouvait vous plaire.
Koussevitzky a toujours mes symphonies depuis le 15 juin, mais il n'a pas encore donné signe de vie. Est-ce que Mme Dolorès de Silvéra vous a encore donné de ses nouvelles? La dernière fois que je l'ai vue c'était mi-juin. Elle me demanda de fixer une date pour le concert où elle chanterait les deux poèmes que vous savez. Mais fixer une date m'a paru tout à fait impossible et les choses en sont restées là. Je ne suis pas pratique et je crains qu'elles n'aient guère avancé depuis.
Ma femme me demande de vous remercier de tout cœur de l'intérêt que vous lui témoignez. Elle désire tant vous connaître. Mais nous sommes de nouveau sans bonne et depuis une légère indisposition notre plus jeune enfant a été tellement gâté que nous ne pouvons pas encore le laisser dormir seul comme c'était l'habitude. Du reste il est un tyran. Mais n'y aurait-il pas moyen de vous voir ici ne fût-ce qu'une heure? Je n'oserais jamais insister mais cela ferait tant de plaisir!
Voilà une lettre, chère mademoiselle, qui demande bien d'excuses. Elle voudrait dire tout ce que je dois à votre bonté et elle y réussit fort mal. Merci de tout ce que vous m'avez écrit et croyez-moi sincèrement ému votre bien dévoué
Matthys Vermeulen
vooralsnog alleen in fotokopie overgeleverd
Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA