MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19231129 Ernst Levy aan Anny Vermeulen-van Hengst

Ernst Levy

aan

Anny Vermeulen-van Hengst

Parijs, 29 november 1923

29 XI 23

Chère Madame,

Je profite de l'occasion de vous remercier de votre lettre pour vous parler d'une pensée qui me hante et dont je n'ose faire part à votre mari, de peur de le blesser.

Aussi je vous demande de m'excuser − si vous ne voulez pas répondre à ma question, faites comme il vous plaira; alors soyez sûre que je n'en parlerai plus. Mais je ne puis pas regarder tranquillement ce qui se passe chez vous. Je sais que je me mêle là de choses qui ne me regardent point − et cependant elles me regardent, car où sans cela serait l'amitié!?

Donc je vous parlerai brièvement et fermement:

Je ne sais pas quelles sont vos ressources financières, mais je vois qu'elles sont insuffisantes.

Or je me dis ceci: Un pianiste aujourd'hui − à part quelques rares exceptions − ne peut pas gagner sa vie en exerçant sa profession. Moi-même je la gagne uniquement en donnant des leçons, ce qui n'est évidemment pas ma profession. Quand je suis venu à Paris, et que je ne savais pas ce que je deviendrais, j'étais fermement résolu à faire n'importe quoi. Or, si la vie est difficile pour un musicien pratiquant, elle devient impossible à gagner pour un compositeur (j'en fais également l'expérience sur moi-même!).

Il reste donc 3 possibilités:

1) Le compositeur a de la fortune

2) [Le compositeur] n'a pas de fortune et gagne sa vie par une occupation "à côté".

3) Le compositeur se fait vivre par des dons amicaux.

La 3ième possibilité est tout à fait incertaine, de caractère provisoire et en plus il n'est pas donné à tout le monde de l'accepter à l'infini.

La 1ière possibilité éliminée, il ne reste que celle de gagner sa vie en travaillant − n'importe quoi − en choisissant naturellement une occupation aussi peu abrutissante que possible! (Celle de donner des leçons aux Américains n'est pas toujours la moins abrutissante!!!) Et voici où je veux en venir:

Croyez-vous que votre mari accepterait une bonne place si on la lui trouvait?

D'ailleurs je suis certain qu'en s'adressant par ex. aux Compagnies de navigation hollandaise, il trouverait facilement une occupation peut-être même intéressante.

Je vous prie instamment de ne pas m'en vouloir de vous parler ainsi, et, comme je vous l'ai dit, si vous le désirez, on n'en parlera plus.

Mais si je puis vous rendre un service, dites-le moi.

Cordialement à vous

votre dévoué

Ernst Levy

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA