MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19630301 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

Parijs, 1 maart 1963

Paris le 1/3/63

Cher Thys, chère Théa

chère Odile,

Cela m'a fait bien plaisir d'avoir de vos nouvelles, de revoir ta belle écriture. Ainsi que celle d'Odile qui promet aussi. Dominique qui était au lit pour un début d'oreillons s'est distraite à les déchiffrer.

Ces nouvelles sur votre hiver sont en somme satisfaisantes que malgré sa dureté vous semblez l'avoir bien passé. Sauf cette pauvre tante Marie à qui tu pourras peut-être transmettre de bons rétablissements.

Ici aussi la bise a été dure. Nous venons seulement d'atteindre une période un peu plus douce. La semaine dernière Dominique et Josquin sont allés barboter dans la neige avec moi à la Grille Royale où l'on voyait pas mal de skieurs dans la grande descente vers le Château que tu rappelles sans doute. Nous sommes passés sous ses vieux tilleuls dont un s'écrasa un soir de promenade avec Janine. Ils ont l'air de devoir s'écrouler tous pour demain.

La barque ne vogue pas si allègrement et profitablement que je le voudrais. Ma machine à faire de l'optimisme a des ratées. Mais nous en reparlerons plus tard. Laissons revenir le beau temps. Dis-moi un peu maintenant ce que tu penses de De Gaulle. Il me semble que ses dernières prises de positions doivent te satisfaire. En tant que Français éduqué par toi j'en suis intérieurement très satisfait. Quelle joie j'imagine en Josquin mon frère de voir choisir les Mirages IV à la pointe de l'essor français, à la place des combinaisons anglo-saxonnes. L'idée de force de frappe française ne te convient peut-être pas, cependant je voudrais tout de même te la faire accepter pour les effets bienfaisants qu'elle peut apporter à la France. Il ne faut y voir qu'une idée force. Ne pas croire qu'un jour elle aura l'occasion de frapper. Cela serait évidemment un but désavouable. Mais dérouiller tous les ravages de la Nation, pousser la technique à des recherches nouvelles, c'était pour la France de 1958 une nécessité, c'est une réalité maintenant. Le patriotisme que nous faisions vibrer en 1939, revibre dans cette idée, dans cette indépendance de la France sur le plan international. Après avoir donné ce coup de fouet à la Nation, il n'est pas interdit de suivre les idéaux les plus pacifiques, les plus dignes de grandeurs dont je ne doute pas que nous auront la preuve.

Le rapprochement franco-allemand? Cela est aussi dans ma ligne. Combien Fofo n'aurait-elle pas été satisfaite par cet aboutissement? C'est une affinité qu'on ne peut pas taire toujours. Mais là aussi il y a nuance et le Français me semble de taille à garder ses propres nuances dans cette assemblage.

Voilà pourquoi je ne regrette pas d'avoir lutté aux dernières élections aux côté de l'Union pour la Nouvelle République. Nous nous sommes engagés dans un chemin hasardeux peut-être mais la volonté de le faire aboutir semble assez forte. Voyons les résultats.

Celui dont je suis content déjà c'est le règlement de la question d'Algérie. Voila qui pourrait donner une preuve que l'hégémonie recherchée n'est certainement pas militaire. Retirer son armée de la sorte me semble digne d'une force et d'une grandeur que malheureusement tous les Français ne peuvent supporter et n'est pas dans la ligne d'un militarisme qui à l'avance nous serait haïssable s'il transpirait dans un nouvel ordre. Préparer des canons, des chars ne me semble pas plus inquiétant que de préparer de bons médicaments. L'organisation actuelle de l'économie, les nécessités de certaines mystiques nous y obligent pour les uns comme pour les autres. Ce qui n'oblige nullement à s'en servir. (Les bons médicaments faisant peut-être encore plus de ravages que les canons!!)

Allons en voilà assez avec ces considérations. J'ai pauvrement essayé te faire comprendre ce qui se passe dans ce pays que tu as quitté et que tu ne vois peut-être plus avec les mêmes yeux de là-bas. C'est un pays qui vivait sans grande foi depuis ton départ. Il me semble se tourner vers cette image que tu as formée en nos cœurs où l'esprit français avait cet éclat de génie bien orienté. Serais-tu de cet avis?

Je t'embrasse bien fort ainsi que Théa et Odile et te souhaite un beau printemps

Donald.

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA