MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19600828 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

Dechy, 28 augustus 1960

Dechy le 28 Août

Cher Thys chère Théa,

chère Odile,

Merci pour les deux lettres et la carte qui sont arrivés en même temps, portées non par le facteur, ton opinion sur lui est justifié, mais par une mignonne fillette blonde à qui il les donne à deux kilomètres de là! Comme je suis seul en ce moment à la maison, Janine et les enfants sont à Châteaubleau, cela m'a permis de lui offrir un pot de compote self-made dont j'avais de trop. Cette fillette se trouve être par hasard celle que cet hiver Janine prenait en voiture pour aller à l'école sa maison se trouvant à un chemin entre nous et l'agglomération de Dechy.

Oui je profite de l'absence de la famille pour effectuer quelques travaux nécessaires dans la maison. Aussi pour soigner nos chats. Ai-je raconté que notre Minouche a si bien attiré sa femme qu'elle est venue accoucher ici dans la véranda de sept jolis petits qu'elle emmena par la suite dans notre hangar. Sa fille déjà adulte trouva aussi la maison bonne et amena ses quatre petits déjà grands d'environ trois semaines. Ils sont maintenant onze dans la nichée. Imaginez-vous mon bonheur? La mère est trop faible pour allaiter les siens déjà. L'autre mère ne s'occupe pas beaucoup des siens. Alors je joue au père nourricier. Je les prends pour des visons. Mon Dieu quelle abondance! Quelle frénésie, quelle vie! quand ils ont tous faim! Je suis souvent débordé. J'ai une poire avec une pipette car ils ne mangent pas encore tout seul. Je fais des bouillies, je surveille les selles... Je suis heureux que ces mères se soient réfugiées sous ce toit. Je leur ai accordé ma protection.

Alors j'ai laissé passer l'exécution de la symphonie? J'ai pourtant cherché longtemps et cherchais encore. J'aime beaucoup entendre tes œuvres. Quoique je ne sache en dire grand' chose elles m'impressionnent beaucoup. Inoubliable est pour moi la 2ème et combien je voudrais revivre l'enthousiasme qu'elle me communiqua. Je veux parler de l'exécution en ce mois de Juillet où je vins par avion à Amsterdam. Il me semble que c'est bien la 2ème n'est-ce pas? Je regrette donc beaucoup d'avoir laissé passer celle-là.

J'écrivis presque de suite l'autre soir à la suite d'une exécution de la 10e symphonie de Chostakowich [= Sjostakovitsj], dans laquelle j'ai trouvé nombre de passages très intéressant. Il a soulevé aussi mon enthousiasme, peut-être pas autant que toi! J'aime beaucoup sa sonorité. L'orchestre était anglais avec Malcolm Sargent. Ah oui je voulais dire à ce propos: je ne m'étonne plus que la Russie soit parvenue à de tels sommets sur beaucoup de points de l'échelle internationale. C'est du moins devant la densité la valeur des arguments de cette symphonie que me vint cette idée. Je pense depuis longtemps quel tort immense une nation se crée à ne pas reconnaître de suite ses artistes et en particulier ses compositeurs de musique. Qui peut pressentir ce qui se joue là derrière?

Il est bon que le blé soit semé que la récolte ait lieu que la grange soit bien garnie. Mais combien important aussi le fait que le pain soit effectivement mangé. J'aimerais à remonter le cours de l'histoire et suivre les grandeurs et les décadences des nations en parallèle avec les productions musicales, les encouragements qu'elles eurent.

Pour en revenir à cette soirée mon poste de radio tomba en panne et je partis chercher mon lait dans une ferme à l'entour chez deux vieux qui aiment bien bavarder. Ils avaient qu'une fille et ils l'ont perdue à 24 ans à la suite d'une naissance où l'enfant est mort aussi. Alors je suis rentré tard et me suis couché. Voilà comment je repousse le plaisir de passer quelques temps avec vous. Josquin a été très fier de la carte que j'ai retransmise de suite à Châteaubleau. Merci pour lui.

Tout va bien de leur côté. Ici aussi j'en profite pour m'occuper du jardin. Cela vous le savez. Je pense aussi à lancer mon petit appel comme je le fis lorsque j'étais à Neufchâteau. J'avais de la terre que l'on m'avait gentiment confiée mais je n'avais rien à mettre dedans. J'ai reçu encore cette terre ici et j'offre à ceux que cela peut intéresser de faire grossir les rangs de l'abondance. Chaque souffle de vie y reçoit sa chance. Ça c'est une leçon qui me vient de mon père. Inviter à faire penser à l'avenir. A mettre un capital là où il peut produire. Tu sais Miaw que je relis beaucoup de tes anciennes lettres? Elles sont si denses, si profitables qu'à les relire je ne me lasse jamais. T'en fais pas si tu n'en as pas le temps d'écrire. Dis-toi bah! il puisera bien dans son trésor.

Alors c'est le 16e anniversaire aujourd'hui de la reddition de la garnison allemande de Paris? Fêtons le en souhaitant que de pareils temps ne reviennent jamais. J'ai eu l'occasion de me remémorer le débarquement et ses suites cette année plus que d'autres. Que ce passé semble proche et pourtant je m'aperçois que j'ai trente-cinq ans! (Ah oui c'est vrai Thijs merci pour les félicitations.)

Alors au revoir à tous et j'espère que cette lettre vous trouve en bonne santé - Bons baisers de votre

Donald.

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA