MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19571021 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

Neufchâteau, 21 oktober 1957

Neufchâteau le 21 octobre 1957

Cher Miaw, chère Théa, chère Odile,

C'est sans doute parce que je ne sais par où commencer que je tarde tant à écrire. Et je m'en veux tous les jours un peu plus de vous laisser sans nouvelles. Je crois que la dernière lettre remonte au mois de Juillet ou Août. Je n'ai toujours pas fait de progrès en mémoire. Je me le suis amèrement reproché cet été pour t'avoir posé des questions sur cette ville où j'étais arrivé. Du jour où tu m'as répondu j'ai compris que je devrais en bannir à jamais le nom. C'est sans doute pour cela que le vent nous poussa vers l'est, vers ces nouveaux horizons si beaux, vers la montagne d'où avec tant de joie, de contentement serein, on contemple la vallée merveilleuse, sa pelouse de gazon d'un vert si frais et bien ratissée, la Meuse toute petite qui l'entoure capricieusement, la ville qui s'agglutine au fond de ce vallon dans une brume naissante, et aussi ST Nicolas dont le clocher fin et élégant donne à cet amas grisaillant la dernière touche que l'on aime bien à retrouver.

Mais avant de contempler l'automne magnifique dans cette région il y eut encore un mois d'attente à Châteaubleau. Là j'eus la joie, l'honneur extrême, de faire la moisson. Et quand on aime la Nature vous savez que je le dis sans ironie - J'ai ramassé j'ai engrangé du blé, de l'orge, du lin toutes ces richesses ont passé joyeusement entre mes mains. Et puis ce fut la récolte des pommes de terre dont nous avons emporté un sac avec nous dans le déménagement. Ne direz-vous pas après ça, quel bel été il a passé le fiston! Oui si l'on met de côté les soucis matériels, les séparations, l'incertitude du lendemain. Ah! si l'optimisme était inné, si l'on avait toujours confiance en les lendemains si chaque jour était accepté parce qu'il est la joie d'être le jour les regards jetés sur le présent pourraient avoir la douceur de ceux jetés sur le passé.

La nouvelle du déménagement ide l'affectation à Neufchâteau nous est arrivée le 7 septembre à Châteaubleau. Le 11 nous étions avec armes et bagages sur place. Le temps de faire une reconnaissance, avec Cabri bien sûr, le samedi, commander un camion pour le mardi 10 à La Garenne. C'est la maison ST Christophe à Neufchâteau qui nous a fait ce transport. Et le mardi à midi lorsque j'ai vu arriver dans la rue d'Alsace Lorraine le grand panonceau ST Christophe (sur un camion Berliet) j'ai poussé un soupir de soulagement il devait arriver à sept heures du matin mais à la suite d'un accident il avait été changé. Entre temps depuis six heures du matin j'avais entassé mon bric à brac sur les trottoirs. Parmi quelques jours de pluie ce matin là était un beau matin... vers dix heures un télégramme de la maison ST Christophe m'avertit du retard. Janine et moi étions arrivés la veille pour emballer. C'est dire que le retard était plutôt le bienvenu. Le camion loué pour que cela revienne moins cher était sans hommes - juste le chauffeur. Je devais me débrouiller à La Garenne pour trouver la main d'œuvre. Je perdis bien du temps le lundi à en chercher ainsi que des caisses. Je n'avais pas de caisses! Finalement c'est notre propriétaire qui nous en donna ainsi qu'une belle malle. Son petit-fils nous donna une belle jeep et une vieille patinette pour Dominique et Josquin. Ces deux derniers étaient loin de s'en douter d'ailleurs. Restés à Châteaubleau avec leur grand-mère ils attendaient la fin de la tempête.

Pour la main-d'oeuvre je résolus en dernier recours de faire appel à deux Nord-Africains que je "racolai" dans un café voisin, au saut du lit.

Bien sûr le plus dur, les difficultés vinrent du piano. Ce fut une équipe de spécialistes de Paris que Janine alla chercher en voiture et ramena sur place qui effectua ce travail en beauté - Ce fut une chance de pouvoir les avoir à cette minute sinon il restait à Paris - Descendre cette masse de quatre étages, par l'escalier sil vous plaît, que j'avais vu tant de mal à monter - avait fait reculer pas mal de gens à qui je l'avais proposé - Maintenant il est là avec nous pour le grand bonheur de Janine.

Vous vous demandez sans doute aussi où nous sommes. Dans un grand bâtiment, un grand quartier qui était autrefois caserne nous nous sommes retrouvés à dix heures du soir mercredi avec Josquin (Dominique restée à Châteaubleau) dans un appartement immense de cinq pièces. L'emménagement avait eu lieu en notre absence l'après-midi, notre passage à Châteaubleau nous avait retardés, et qui plus est lors de notre reconnaissance nous n'avions même pas vu l'appartement. L'impression fut forte: des pièces de 8m sur 4 avec un plafond à cinq mètres de haut! à côté de notre petit nid de La Garenne cela nous déroutait. Et avec cela une sonorité entre les murs! Ah! pour jouer de l'orgue ça rend bien. Mais les hurlements de Josquin aussi! ils accompagnent en ce moment ma lettre... Enfin petit à petit nous nous y faisons. Sauf au bruit de nos voisins d'en haut le plafond est mince et cela résonne jusqu'à minuit, deux heures du matin comme si l'armée en déroute avait oublié un régiment de fantômes dans sa caserne maudite! Je n'ai jamais tant souffert par le bruit et je ne souhaite à personne cette calamité –

L'un des attraits de l'installation a été de retrouver après bien des recherches dans un petit coin de Vittel, à 30 km d'ici, l'unique poêle à bois, bon marché, le bon vieux godin familial que tu m'as fait connaître et aimer – Tu imagines le problème de chauffer ces pièces immenses dans une région froide pour des gens qui n'ont pas le sou. A ce point de vue nous avons l'avantage d'être au 1er étage au-dessus il n'y a qu'un étage ce qui fait tout de même une façade importante à l'immeuble. J'ai réussi tout de même, après avoir bien cogité et hésité sur la meilleure utilisation des capitaux, à installer ce godin dans l'entrée qui dessert quatre pièces. L'ennui est qu'il n'y a pas de cheminée dans l'entrée et qu'après une installation digne d'un fumiste j'ai raccordé à travers une chambre avec 12m de gros tuyaux ce poêle qui maintenant nous chauffe. Car les matins sont frais. Il a gelé déjà à quelques degrés. Le reste de la journée est plus chaud bien sûr mais dès que le soleil n'est plus là on sent le froid. Comme bois nous utilisons des chutes de scieries moins chères aussi. On découpe tellement d'arbres ici que les nœuds, l'écorce ont trouvé leur utilité dans l'économie du pays. Mais quel plaisir de faire un bon feu de bois. Tu parles si je me souviens des belles années de jeunesse et de Bas Prunay et de la Bicoque…

Ce bois bien que vert chauffe bien ça n'a pas été sans mal d'ailleurs! le soir même où je l'avais installé un joli liquide noir dégoulinait tout au long des 12m de tuyaux. Plaçant une demi douzaine de récipients aux points stratégiques nous eûmes droit pendant la nuit à un ensemble concertant qui berça le sommeil de Dominique. Le lendemain, réunissant tous mes bouts de tôle, découpant des bidons, je fis courir une mignonne petite gouttière sous mon tuyau et dans une boîte de conserve accrochée en bout je récolte ce liquide qui me paraît précieux mais dont je ne sais encore que faire. C'est un goudron bien liquide qui colore très bien les parquets! (quand on oublie de vider le récipient: vous voyez de là-bas les réveils en sursaut au son d'une inondation...) Je n'aurais jamais cru qu'il pouvait y avoir tant d'eau dans le bois! Le pire c'est qu'on ne trouve pas de bois sec tout est brûlé au fur et à mesure et heureux encore lorsqu'on trouve ce bois. Pour te faire une idée du changement des prix le stère de beau bois que l'on trouvait e.au camp en 1942 qui était je crois à 250x on l'aurait ici à 2500x le stère de chutes que l'on a commencé à payer 40x dans le bois de Louveciennes se paye ici 1600x. Et la région est certainement favorisée.

En partant de Châteaubleau la sœur de Janine nous a donné un petit poêle genre cloche sur trois pieds qui a juste un demi mètre de haut. Nous avons eu l'audace de l'installer dans notre cuisine. Vous imaginez 4m50 de tuyaux et cinquante centimètres de poêle! Il fait penser à un nain déshérité! Mais il chauffe pourtant bien avec du charbon. A part ces deux nouveaux intrus notre installation est la même qu'à La Garenne. Mais nous goûtons déjà la joie de faire sa chaleur soi-même. C'était vraiment une plaie de La Garenne d'être dépendant de la bonne volonté regardante des propriétaires.

Pour terminer le tableau général, ce grand bâtiment à l'allure solide se trouve à quelques dizaines de mètres des petites maisons où vivent les jeunes garçons - une barrière de ciment bien peinte en blanc marque l'entrée dans un domaine plus beau: là les bâtisses sont bien repeints en ocre jaune, les fleurs inondent tous les massifs, les allées regorgent de couleurs. Avant d'arriver dans ce domaine, on passe devant le pavillon de Mr le Directeur qui a meilleur mine que le bâtiment mais reste encore bien modeste avec son jardin planté de trois beaux sapins. Cabri lui y a gagné de s'abriter dans l'ancien Manège où ses ancêtres faisaient leur ronde.

Je ne vous ai pas encore dit comment Dominique était arrivée. Avec sa grand-mère le lundi suivant. Comme elle supportait mal la voiture elle est venue par le train. Châteaubleau étant sur la ligne entre Paris et Neufchâteau vous avez déjà pensé l'avantage que ce fut pour nous aussi d'être dirigés sur l'est. C'est ainsi que dans notre installation nous avons le concours de la grand-mère pour qui la séparation fut un peu moins dure faite ainsi. Nous avons pu avec (elle) admirer les beaux environs notamment Domrémy avec sa belle basilique et la maison de Jeanne au bord de la Meuse.

Mais grande nouvelle: depuis 12 octobre Josquin s'est lâché sur ses deux petites jambes bien costauds c'est un gaillard qui promet, toujours bon appétit, de bonne humeur. Il s'est montré très câlin depuis son déménagement avec nous deux s'arrangeant très bien de toutes les situations ayant l'air de goûter au mieux sa vie de fils unique nous l'avons vu se rapprocher beaucoup plus de nous. Vous pensez s'il est joyeux de pouvoir se pavaner comme un petit canard. Je vous joins quelques photos pour que vous puissiez l'admirer. Dominique va bien aussi, mais plus chichiteuse elle demande bien de la patience. Après un mois d'adaptation Janine et moi (moi le premier) nous avons commencé un rhume cette semaine - nous entendons nous vacciner ainsi contre la grippe... Ça [a] été notre premier passe-temps du premier congé de 8 jours que je viens d'avoir après un mois de dur travail... Le deuxième ayant été la visite de Nancy: belle ville en vérité –

Pour ce qui est du travail c'est un cadre sympathique, plus libéral que le premier connu. Ce centre dirigé par un capitaine de réserve à l'air bon enfant, cherche à s'éloigner le plus possible des habitudes rigides de la caserne, sur laquelle on copie assez souvent pour obtenir une discipline d'ensemble. La tâche est plus ardue mais tout de même plus sympathique.

La journée se fait en trois temps: le réveil, le repas de midi, celui du soir avec la veillée. Tous les jours sauf un dans la semaine pour le repos. Aussi pour compenser les dimanches nous donne-t-on huit jours en plus par trimestre. Je m'adapte bien à ce rythme de travail qui laisse du temps dans la journée à la promenade par exemple: en somme entre ces moments il y a des creux le matin 3H l'après-midi 5H où nous sommes libres. Redevables moralement d'un travail de préparation – Je m'habitue peu à peu aux visages de ces jeunes qui commencent eux aussi à s'habituer à moi. Ce matin j'ai cru que mon congé était fini. En réalité c'est demain que je reprends le service. Mais je suis entré ce matin comme à l'habitude dans les chambrées où à 6H45 je réveille mon monde. Après une semaine d'absence tous ceux que je réveillai eurent en s'éveillant un sourire pour moi. Ce n'est pas grand' chose mais ça m'a frappé étonné même ayant tellement l'habitude de voir ces visages renfrognés qui n'aiment pas se réveiller - Et ça m'a fait plaisir. Dans ce groupe il y en a un qui aime beaucoup la peinture. Être fruste, il s'y adonne avec naturel et amour. De même aussi que la musique. Son plaisir est de gratter avec un bel archet une corde de guitare qu'il a monté sur une boîte à cigare au bout d'un manche à balaie (raccourcie)! Et sans connaître le solfège il en tire des avis, reproduit ce qu'il entend. Sa peinture pour un être de seize ans est bien. Cela tire un peu sur le genre affiche mais c'est un peu le milieu qui veut ça il y a tout de même des parties très bien. Il rêve d'une boîte de peinture à l'huile. Que c'est beau d'entendre l'ardeur d'un jeune être qui se passionne pour cela. Il rêve d'évasion dans la nature, d'heures d'extase à la création d'un tableau. Je lui ai donné un premier instrument d'évasion: la mobylette. La première sortie qu'il a faite il a voulu que ce soit pour faire un tableau de l'endroit que je choisirais. Un petit coin de bois à l'automne avec la route qui s'enfonce dans la montagne. Dans l'après-midi nous sommes allés le voir à quelques kilomètres de là pour l'encourager et voir ses progrès. Sur un panneau d'isorel, un genre contreplaqué, il avait passé une couche d'enduit blanc et avec les gouaches qu'il possède déjà il peignait dans le pré. J'étais content d'avoir mis ce témoin-là, heureux seulement à la vue de ce spectacle grandiose de la nature. Ici à l'automne les arbres prennent des roux, des ors, de rouges incroyables voisinant les sapins verts dans un heureux contraste. J'ai toujours eu plaisir à rencontrer un peintre dans la nature. Eh bien celui-là, monté de toute pièce, apprenti, j'eus plus de plaisir encore à l'apercevoir du bas de la colline d'où sa silhouette sombre à côté du chevalet se distinguait nettement. Peut-être y avait-il aussi la joie de se dire que "ça tenait" après s'être demandé si l'"évadé" n'était pas passé en mon absence à l'"échappé". Car enfin sur les cent cinquante garçons qu'il y a ici, cent aurait profité autrement de l'occasion.

Voilà comment se noue la nouvelle vie. Thys lorsque tu auras appris notre nouvelle direction tu auras sans doute au cours d'une veillée regardé ou se trouvait Neufchâteau. Le Larousse ouvert sur tes genoux, tu auras vu la direction que j'ai prise.

Un matin, encore abasourdi de notre transplantation qui vous laisse un peu dans le vague, j'ai trouvé la feuille que je te joins, sur ma table de bureau que nous fréquentons pendant le service. Elle faisait partie d'un petit journal comme on en fait dans les écoles. Après treize ans j'ai été remué profondément par ce salut cet accueil dans cette région qui se révéla si intime à moi seulement au moment de la lecture de ces lignes. Heureuse surprise de me trouver si près d'un lieu vers lequel inconsciemment je tendais à me rapprocher. Douce façon je trouve de voir comment l'Histoire passe dans le peuple. Je tiens à ce que tu sentes aussi cette bienvenue si fraternellement souhaitée qui bien qu'elle fasse de la peine, est d'une gentillesse dont on ne peut douter de la provenance. J'espère nouer de solides attaches avec cette région.

Eh bien après avoir fait ainsi le tour de ces quelques semaines passées je vais vous quitter en vous remerciant bien encore de la carte, vous souhaitant une bonne santé à tous – Miaw ne t'inquiète pas si tu n'as pas le temps d'écrire. Le "boulot" d'abord! et je vois que ça marche. Moi j'aurai le temps maintenant d'écrire. Je vous embrasse tous bien fort.

Votre fils qui pense toujours bien à vous

Donald.

[groet van Janine:]

Peu de place pour vous dire que je pense bien à vous, et vous embrasse.

Janine.

[nawoord Donald:]

P.S. Je n'ai même pas dit la satisfaction, la joie profonde que m'a procuré la réussite du satellite! Vive la Russie!!

Odilie, Ik forget je niet…

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA