MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19560917 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

La Garenne, 17 september 1956

La Garenne le 17 Septembre 1956

Cher Thys chère Théa chère Odile,

Mon Dieu! quelle source de joie d'optimisme, de confiance que celle d'apprendre que tu vas te remettre à la composition. Merci Miaw de ta bonne lettre qui m'a fait tant plaisir. Je voudrais te dire mieux encore combien je t'aime. Tes mots sont venus me soutenir, m'encourager au début de cette semaine au début de ma journée de travail par une belle après-midi d'été attardé. Comme j'ai aimé à te lire et relire comme au temps où perdu dans Val Suzon je lisais et relisais l'écriture douce et arrondie de Fofo.

Je comprends que tu fus pressé de me l'envoyer.

Mais déjà tu sens à travers mes lignes le retour de mes pensées vers le triste septembre où la lumière de l'été est encore si belle. Je te demande pardon si je ravive en toi la douleur, mais au fond il n'y a qu'à toi que je puis en parler et cette année j'ai besoin de t'en parler.

Toi seul te souviens comme le soleil de septembre était beau comme l'air était calme. Cette année c'est la même chose. Après des jours de souffrance mon chemin capricieux de chien traqué, battu me mena aux bords de la Seine. Cette année j'avais souffert aussi ce mois d'août, mais je connaissais déjà l'issue heureuse de cette lutte et de même qu'une pluie battante vous coupe le souffle et vous fait chercher un abri, de même je cherchais un endroit où je pus enfin respirer un bon coup. Là au soleil sous le vent énergique je pris quelques minutes de récréation avant de rejoindre la pharmacie. J'avais faim. Un vieux casse-croûte que je n'avais pas eu le temps de manger était dans la voiture. Un monsieur d'un certain âge regarda d'un œil intrigué ce jeune homme bien mis qui mangeait son pain et sa carotte sur une marche de la berge. C'était un petit coin de Seine près du pont de Neuilly où quelques pêcheurs tentaient inlassablement le poisson invisible. Après quelques minutes de contemplation de ce spectacle reposant mon esprit perçut comme à travers des limbes une analogie, un retour – Je lus alors le nom de la péniche qui se présentait à ma gauche. "Mytho". Amarrée à la berge elle reposait tranquillement sous le vent. Oui, cette péniche placée à ma gauche ce soleil sur l'eau, me reportèrent loin en arrière. "Mytho" ce nom ne me disait rien. A son bord un homme s'affairait au dessus d'une soute. Il semblait faire quelque chose d'important à mon sens. Il ordonnait des outils. Tout à coup le vent violent eut la force de soulever le couvercle de la soute et de le rabattre sur la tête de l'homme. A voir le choc je ressentis une douleur pour cet homme, qui, apparemment insensible, remit le couvercle dans sa position première et continua son travail. Tout ceci se déroulait devant moi comme dans un songe et une partie, très petite, de mon être, curieuse se demandait la signification de cette scène. Je pensais qu'il y avait bien longtemps qu'un message m'était parvenu ainsi. En quittant ces lieux l'envie me prit de savoir ce qui se passait à cette heure au pont de Bougival. Mais le temps avait tourné et d'autres obligations m'empêchèrent de réaliser mon vœu. Sans pour cela l'oublier. Ce n'est que quelques jours après que je retournai vers la berge attachante. C'était lundi dernier. Le vent avait disparu le soleil était d'or. Je laissais Cabri près de la maison à Bizet, et fis l'approche à pied. C'est en marchant au long de ce quai qu'un désir de chanter, de rythmer cette beauté de l'été, la richesse de cette fleur simple me fit souhaiter de beaux vers où la Seine rimerait avec le mot "peine".

Le jeu agréable de "berges" et "gerbes" vinrent [lees: vint] naturellement à me plaire. Mais ma recherche n'alla pas plus loin.

Je n'avais jamais remarqué tant de ces fleurs le long de la Seine. Elles me furent un doux salut, une présence de la Bicoque. Et l'envie me prit d'en cueillir puisque le but de ma promenade était d'aller voir Fofo, je pourrais à défaut de bouquet plus riche lui apporter les fleurs qu'elle aimait tant. Je fis donc quelques pas au-dessus de l'onde et prit les plus belles. En pris aussi deux pour orner le porte-bouquet de Cabri. A quelques pas de ce domaine de rêverie attendait un homme sur la route. Ancien camarade de travail que je n'avais pas vu depuis sept ans je le reconnus sans que lui pût dire qui j'étais. Ce nord africain avec qui je conversai quelques minutes eut le temps de me dire son désespoir pour la santé de sa femme atteinte d'une dépression nerveuse. Je lui contai mon histoire et lui donna l'adresse de l'hôpital, le nom du médecin qui avait patronné ma guérison. Cet homme avait rendez-vous avec une personne qui ne vint jamais, je m'en aperçus par la suite de loin. Après cette courte interruption je repris mon chemin et ma rêverie. Cabri m'emmena avec mes fleurs le long de la Seine et entama la grande montée de Bas Prunay. Qu'il est doux et émouvant de s'accouder à cette même barrière, qui jadis me domina, et devant cette nature sauvage faire revivre le passé. Les buis qui tracent l'allée centrale sont toujours là beaucoup plus grands. Il n'y a plus de lauriers et l'herbe s'en donne à cœur joie partout. Un avion ronronne toujours dans l'air. On dirait que vingt années ont passées comme quelques minutes. Point de tristesse démesurée: une vie, une émotion intense. Plus loin au bord de la route le "Père la pipe" a proliféré. Sa cabane s'est dédoublée et enrichit extérieurement. Le vieux noyer tient toujours debout l'odeur curieuse et agréable de la prune qui macère dans la terre règne toujours dans ce coin que l'on dirait abandonné. Voir aux environs le visage de tant de villages modifiés de fond en comble et contempler ces quelques arpents qui me sont chers et qui ont gardé leurs aspects chéris me fait imaginer dans le calme bienfaisant de cet après-midi qu'il y a des endroits où le temps suspend son vol.

Après avoir fait revivre, taillé dans la chair vive, des images du temps passé je repris ma course, ma montée avec Cabri que je laisse d'habitude au pied du noyer.

Avant de partir la grande vue sur la vallée s'offrit à moi à travers le pare-brise. Je goûtai alors la joie présente et passée de surplomber la vallée. Je sentis que j'étais las d'être dans la vallée. J'aspirai à rejoindre la montagne.

Quelle douceur quelle quiétude règnent aussi sous les arcades. La chaleur et le soleil semblaient renforcer encore cette sensation de repos dans l'air. Une ombre fraiche s'étalait sur la tombe. Tout en regardant et enregistrant physiquement ces détails, un sentiment, une voix, gouverna dès l'abord ma pensée secrète: un cycle était terminé il y avait quelque chose de nouveau, quelque chose d'heureux. Quoi? Je ne saurais le définir exactement. J'avais l'impression que dans l'au-delà le temps comptait toujours son évolution continuait et un tournant heureux m'était signifié très vaguement, imprécisément, mais sûrement.

La réalité me fit découvrir un petit coin de terre, une jachère luxuriante que je me mis à ordonner. J'allais chercher mon journal pour collecter les herbes et le vieux pot de verre que j'attendais sur le tas de détritus s'offrit à moi pour donner l'eau conservatrice aux gerbes de la Seine. Quoique je n'eus que les mains et un couteau de poche pour faire mon petit travail je goûtai encore une fois la joie bienfaisante de cette petite besogne. Un rosier vigoureux s'était déjà vu tailler quelques branches dépassant le cadre de ce petit rectangle toujours entouré de buis. Je lui laissai deux maîtresses branches qui sans aller sur les côtés montaient vers la tête en un mouvement embrassant. Sous cette ramée poussent de jolis soucis, orange éclatant dans cette verdure tendre. Sous les liserons je retrouvai le Christ dont la croix s'est cassée, je la remis dans un angle à l'ombre des buis. Depuis que [je] l'ai trouvée cassée je la place toujours dans cet angle. Souvent je l'ai retrouvée au centre là où elle se cassa. Qu'il faisait bon prier sur ce coin de terre dans cette solitude complète. La paix était telle en mon âme fatiguée et dans ce beau jardin qu'un lézard charmant vint s'incruster au soleil sur le rebord de la tombe voisine et dans ma mémoire. Ses quelques coups de queues agiles me dirent la vie le bonheur de se déplacer ne serait-ce qu'en rampant. Et les abeilles vinrent se réfugier dans les gerbes d'or. En m'éloignant je vis les moineaux et les corbeaux dans l'entremêlement métallique des tubes du gigantesque échaudage de l'aqueduc. Les uns virevoltaient lentement les autres se reposaient béatement. Je demandais encore quelle préférence leur faisait choisir ces constructions géométriques plutôt que les arbres voisins où je n'en vis pas?

Ainsi se passa le dix septembre de cette année où fortuitement je pus m'échapper de la vallée. Quand quelques jours plus tard je me dépêchai de mettre ta lettre à la boite je revis à la fin de la journée les gerbes d'or dans Cabri je regrettai de ne pas t'en avoir mis dans la lettre m'étonnant de n'y avoir pensé que si tard et me promettant l'envoi dans une prochaine lettre. Demain nous irons avec Roland à Louveciennes et je t'en rapporterai. J'emmènerai Clarisse et Norbert aussi. Roland est de passage une nuit seulement avec Marcelle en route pour la Vendée.

Ce samedi s'est écoulé. Je croirais volontiers que des années de vie se sont déroulées. Mon esprit ne peut plus en fixer la marche. Nous avons fait un magnifique voyage sur les hauteurs. Ce fut un jour d'extase. Dis moi Thys que tu l'as senti? Je te remets le gage du bonheur que nous avons emporté pour toi, pour vous. Il était presque passé le temps des gerbes d'or, ce sont les dernières porteuses d'or déjà la rive a terni...

Fin de la lettre

Je termine en souhaitant un beau voyage à ces fleurs qui ce matin encore se miraient dans l'onde. Dans quelques instants elles commenceront leur course et vous apporteront la promesse du bonheur que je vous souhaite de tout cœur – Je suis heureux que vous vous installez à Laaren –

Je vous embrasse bien fort tous en continuant de penser fort à vous.

votre Donald.

verso: fragment overpeinzingen van D.