MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19560321 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

La Garenne, 21 maart 1956

La Garenne le 21 Mars 1956

Cher Thys, chère Théa,

Chère Odile,

Un petit mot rapide pour vous donner des nouvelles. Tout va bien, ne vous inquiétez pas. Je n'arrive seulement pas à vous écrire. Je pense pourtant bien à vous. Un moment propice est toujours souhaité pour me mettre en liaison avec vous mais il n'arrive jamais. Enfin ce matin je n'ai pas le temps d'analyser pourquoi il me faudrait encore des heures!! (il serait peut-être nécessaire que je le fasse.) Le fait est là il y a un silence, un silence qui n'a rien bien sûr rien d'hostile. A travers ce rideau je vous suis loin de moi, m'imagine que rien ne change dans les habitudes de tous les jours. Je suis d'ailleurs comme ça avec tout le monde, le silence, j'ai une faim de silence. Avec Roland aussi auquel je n'ai pas écrit depuis six mois.

J'ai eu il y a quelques jours une envie immense de vous rejoindre, une de ces envies si fortes comme il n'en peut naître qu'au mois de mars.

Je me reproche beaucoup de n'avoir pas écrit au premier janvier plus encore d'avoir laissé passer le 8 Février sans donner signe de vie. Pourtant nous pensions à toi, Thys, et je vais te joindre la carte que Janine avait préparée pour toi. Je t'embrasse tout de même bien fort pour ce jour là et te demande pardon. Je pense que te souhaiter de tout mon cœur un joli printemps, un bon printemps comme ils sont si doux sur cette terre, te sera sensible autant que le vœu rituel de bonne année et plus encore peut être si, à chaque entrée de saison ton fils "Ah! cette terre qu'il aime tant va se revêtir maintenant pour Lui de nouveau de ses plus beaux atours."

Je pense que Thea et Odile vont aussi toujours bien. L'école est bonne? Ici Dominique approche de sa première année. Petit être plein de vie, vite en extase elle respire la joie de vivre. Dès le premier rayon de soleil nous ferons une photo que nous vous enverrons. A ce propos je repense à mon désir de toi Thys que j'ai relu il y a quelques jours dans une lettre de toi de 1949 que tu voudrais bien avoir une épreuve de celle où tu es à côté de ton Pleyel. Je crois n'avoir jamais exaucé ce vœu. Mais j'ai toujours les clichés et dès que je pourrai m'installer j'ai hâte de faire revivre sur le papier sensible toutes les images du passé que j'aime. Entre nous vous ne pouvez savoir combien je suis heureux d'avoir conservé ce qui représente pour moi le plus bel héritage.

Pour compléter le tableau de Dominique je dirai qu'elle est menue, astucieuse et vive. Elle me fait penser souvent à Odile, toujours blonde aux yeux bleus.

Janine continue malgré tout son travail avec beaucoup de courage. Sa mère vient garder Dominique ici. Janine se porte bien et commence à porter vaillamment ce que nous espérons cette fois être vraiment un Manuel! Oui c'est le quatrième mois de grossesse que Janine termine en ce moment. A la fin août nous attendons l'événement. Janine aurait bien voulu que ce ne fût pas encore cette année, mais son bonheur est bientôt aussi grand que le mien de voir grossir cet espoir.

Sans oublier dans notre petit tableau familial notre fidèle Mounette, la gentille chatte noire que vous connaissez et qui nous tient toujours compagnie.

Maintenant relire tes lettres d'antan qui est un plaisir toujours renouvelé, n'est pas le seul moyen que j'ai à ma portée pour vivre avec toi, Thys. Je possède "l'Aventure de l'Esprit" C'est beau, c'est grand, ce que tu m'apportes là. J'aurais voulu que ce fût le premier cri que tu vois sur ce papier blanc, que ce soit la première chose que tu apprennes de savoir combien mon bonheur a été grand de lire ces pages. Il faut que je remonte à des années en arrière pour me rappeler dans quelque enthousiasme juvénile avoir déjà lu avec autant de passion. Et c'est en effet l'impression subtile laissée après la lecture de ce livre, d'avoir été trempé dans un bain de jeunesse. J'entrevois par là la justification du mot "transcendant". Je voudrais bien savoir si c'est une impression purement personnelle.

Depuis longtemps je regrette de n'avoir pas la faculté de lire rapidement [−] je n'ai jamais pu lire rapidement. Lorsque je lis, j'entends distinctement en moi le texte avec le ton, les silences mêmes demandés. Une vraie lecture à voix intérieure. C'est peut-être pour cela que je ne lis plus beaucoup car l'ennui arrive ainsi vue la lenteur du développement. Eh bien en lisant l'Aventure de l'Esprit je compris qu'on ne pouvait le lire autrement qu'en entendant chaque mot, que ce serait extrêmement dommage de lire vite, sans goûter chaque adjectif, chaque verbe, plus dommage encore de ne pas entendre ta voix les faire ressortir avec tant d'expression au long de ce discours à l'humanité, tour à tour extasié, curieux, dubitatif, doux, emporté, amoureux. Et je me vis dévorer ce livre lentement et je crus m'être exercé à lire pendant vingt ans pour enfin pouvoir lire.

J'appris par un neveu, Daniel, le grand fils de Suzanne la sœur de Janine au hasard d'une réunion de famille au mois de Février que les Nouvelles littéraires avait annoncé la parution de l'Aventure. C'est au début de ce mois que je pus me rendre à Paris pour le chercher. La troisième librairie que je questionnai autour de ST Lazare mit beaucoup de bonne volonté à me le trouver pour le jour même ce qui n'était pas si facile à midi [−] ils me promettaient pour quatre heures de l'après midi (pour les autres il fallait quatre jours!) Et je mourrais d'envie de l'avoir. Finalement après avoir envoyé un courrier dans une direction c'est le patron lui-même qui pour tenir sa promesse est allé à la bonne source et me le rapporta à l'heure dite. C'est Vulin, rue de Rome tu dois te le rappeler Thys. (Paul Vulin) C'est donc ainsi qu'un vendredi soir je suis entré en possession de ton livre. C'était le deux mars. Samedi et Dimanche passèrent en un éclair, et lundi après-midi j'étais arrivé à la fin. Et je n'ai qu'un désir, que le temps s'arrête à nouveau un peu pour moi afin de le relire.

Je me souviens d'un mot de toi où tu m'annonçais notre accord probable sur beaucoup de points. L'accord suppose l'émission de part et d'autre de note personnelle or je n'y ai pas retrouvé de note jamais émise par moi et pourtant je vibre tout à l'unisson. Je le répète c'est beau, c'est grand ce que apportes là.

Je vous écrirai plus tard plus en détail les impressions que m'a fait cette lecture. Je ne peux pour l'instant les faire ressortir. Enfin je vous embrasse tous bien fort et souhaite que vous alliez bien.

Donald.

Une grosse bise supplémentaire pour ma petite sœur Odile.

[toevoeging Janine:]

Je vous envoie mes très affectueuses pensées à tous les trois.

Joyeuses Pâques et bons baisers

Janine.