MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19560114 Matthijs Vermeulen aan Robert Kemp - concept

Matthijs Vermeulen

aan

Robert Kemp

 

Amsterdam, 14 januari 1956

 

14 janvier 56

Monsieur,

Pendant les trente années que je vous lis, attentivement, mot à mot, j'ai été votre élève. D'abord sans le vouloir, après en le voulant. Vous avez été mon maître à penser. Ma discipline. Si je ne me leurre pas en croyant être cartésien, voire "impénitent", je le suis devenu, contre ma nature, par vous. Sans vos conseils répétés je connaîtrais Descartes comme tout le monde, mais il ne m'aurait pas servi d'exemple, de loi. Sans vous j'écouterais d'une autre oreille le carillon qu'il a entendu ici, à Amsterdam, de la maison où il a vécu pendant un été. Habitant aux environs, je vous dois, avec l'avantage de votre grande leçon, les joies d'une résonance plus pénétrante. Oui, c'est vrai. C'était possible, malgré maint obstacle. Et j'en rends grâces.

Mais voici l'instant terrible de comparaître devant le juge le plus perspicace avec un livre qui agite les problèmes dont le maître a dit (N.L. 4.11.54) que la solution ne sera pas trouvée tout de suite. Mille fois (je n'exagère pas) ma témérité m'a donné des frissons. Souvent vous m'avez rappelé la difficulté des questions, actuelles depuis le premier homme, et restées jusqu'ici sans réponse satisfaisante. Mille fois, avec la même frayeur, j'ai cherché une faille dans mes raisonnements. Je la cherche encore, car votre enseignement m'a fait prudent à l'extrême. C'est presque folie, je le sais, que d'oser espérer avoir réussi là où tant d'illustres prédécesseurs ont échoué. Mille fois cette réflexion inévitable m'a accablé, écrasé, pendant une méditation qui a duré plus d'un quart de siècle. Cet avertissement m'a poursuivi sans relâche. Je n'ai pas pu me soustraire à une sorte d'obligation semblable à une foule de nos contemporains, j'avais moi-même besoin d'une réponse qui satisfasse aux exigences de la raison. C'est mon excuse. Moi-même maintenant j'ai besoin d'être éclairé sur la valeur de mon travail. Voilà pourquoi ce livre, cette lettre.

Vous m'avez encore ravi l'autre jour par la superbe phrase de Suarès, et votre commentaire: "Le néant, c'est l'univers sans moi." Elle serait à sa place dans mon ouvrage, où il n'y a peut-être rien de neuf, sauf la méthode. Je l'ai voulue tellement rationnelle, logique et cohérente, que même si dans quelque détail il y eût une erreur, on ne pourra pas la négliger, on ne pourra plus s'en passer. J'ai voulu démontrer, prouver, modo geometrico, avec la rigueur intellectuelle, et l'émotion persuasive d'une belle musique. Comme vous, comme les philosophes d'antan, je suis musicien. Ah, que je voudrais convaincre nos frères les artistes, nos frères les scientifiques! Tout serait sauvé. Je donnerais ma vie pour cela, quoique je l'aime avec ferveur.

Je désire ardemment que vous n'ayez pas à regretter le temps fort précieux que je vous prends. Je n'ai aucun droit à votre bienveillance sauf celui d'espérer. En cet espoir, monsieur, je vous prie d'agréer l'assurance de ma considération la plus haute.

MV

 

concept, plus enige voorstadia; tevens is bewaard het uitgeknipte bericht uit de Nouvelles Littéraires van 4 november 1954 – zie scan – waarnaar MV verwijst en dat luidt:

 

De livres plus actuels et étranges et inquiétants que ceux-là, il n'en est guère. A moins qu'on ne nous parle de l'existence de Dieu, de l'immortalité de l'âme... Mais un lecteur m'avertit que, de ces problèmes, il est accablé!... C'est un lecteur futile. Qu'il m'excuse. Je ne m'arrêterai de parler des livres qui les agitent que lorsque la solution sera trouvée. Pas tout de suite.

 

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA