MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19500110 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

Louveciennes, 10 januari 1950

Louveciennes le 10-1-49 [moet zijn: 50]

Cher Thys, chère Théa

Chère Odile,

Ce matin je commence ma journée par vous je viens de donner le premier biberon à Norbert après l'avoir tourné savamment au-dessus d'un petit réchaud à alcool (le biberon) qui m'évite d'allumer si tôt mon feu. Il ne fait pas froid dans la maison la gelée est de nouveau disparue en me laissant penser à la peau des oignons. Norbert m'a accueilli de son berceau avec son petit sourire aimable comme chaque matin il le fait si gentiment, c'est bien un Van der Meulen n'est-ce pas? Maintenant il jase près de moi.

En lui donnant son bon lait je pensais à vous, à la joie profonde, l'impression merveilleuse, l'émoi que j'ai eu à écouter les "Victoires"! Ainsi dans Louveciennes cet écho est enfin revenu. C'est curieux j'avais en mon foi intérieur la très nette impression d'un retour, le retour des Victoires peut-être. La joie un peu comme celle que tu me donnais sur la place de la forêt de Marly devant la maison du garde en faisant jouer l'écho de ta voix puissante. De même que je reconnaissais ta voix quand elle revenait du fond du bois de même je ne peux pas dire que je reconnaissais tes harmonies. Et pourtant le début caractéristique je trouve me laisse comme l'impression venant d'une région connue. Le martèlement répété de ce cuivre en particulier me disait quelque chose, et surtout me dis.

D'abord ma réception était bonne. Je trouvais l'enregistrement trop "sombre" si je puis dire. J'avais nettement l'impression d'un emprisonnement sur disques. Enfin ne soyons pas méchant j'avais la joie de t'entendre...

Eh bien c'était beau! ça m'a plu! et pour te donner mes impressions je vais le faire, ce qui n'est pas très logique, en commençant par la fin comme je l'ai fait au crayon tout de suite après l'audition. J'étais encore tout sous le coup de ce merveilleux élan, cette aspiration divine qui s'échappe de tes derniers accords. J'ai qualifié cela de "résonnances célestes", une entrevue sur un univers si beau si lumineux! (Et en regard je notais me méfiant de ma mémoire: basse prolongée, violons surplanants.) Ensuite me libérant de cet extase j'essayais de remonter dans le souvenir: j'y voyais la transparence d'un horizon nouveau au couleurs chatoyantes, irisées, et invitantes, je réentendais à propos de cette transparence la cantilène accompagnée de timbales. Plus loin aux deux tiers de ton œuvre je crois, "j'entre dans le jardin d'une légende" c'est là que dans le calme d'un après-midi je vois une nature chatoyante, agréablement irisée et qui vient à vous sans qu'on ait la peine de la découvrir. C'est beau. (En te disant ça je me fais un peu penser à Clarisse qui, dans un autre domaine et pour montrer un trait de son caractère, lorsque je viens de refaire une chaise avec une belle plaque de bois, s'empresse de dire c'est beau ça! tout en caressant la chaise)

Enfin une dernière remarque qui m'a particulièrement fait plaisir. J'ai noté "tu changes tes rythmes à temps désirés". Tu te rappelles Miaw lorsque nous écoutions certains modernes que nous étions souvent d'accord pour voir dans le manque d'audace dans le changement de rythmes une faiblesse dans l'inspiration, eh bien, pour moi simple auditeur tu répondais à mes désirs intérieurs de changement exactement à la seconde. Ce qui m'est un double contentement de voir que "ma montre n'est pas déréglée" et ensuite de n'avoir pas de contrariétés, car j'admets que je ne saisisse pas tout, de tes ”tutti" grandiose par exemple pour lesquels mon esprit n'arrive pas à suivre, mais surtout ce que je ne voulais pas dans cette confrontation c'était un heurt. Pour moi il ne pouvait venir que de ce côté "rythmes” or tu sais déjà comme j'ai été comblé. Pour le reste tu as pu comprendre que les sonorités m'ont plu et que je n'aspire qu'à une seule chose, les réentendre pour pouvoir y pénétrer plus à fond. Alors tu vois le cadeau qu'il te reste à me faire!: ces disques et je retrouverai mon pick-up et Louveciennes sera content!

Eh bien voilà c'était une belle soirée que je n'oublierai pas: tu trônais sur le poste de radio et Trudi me dit que c'était particulièrement électrisant d'entendre ces sons qui t'appartenaient et de fixer ton regard scrutateur elle était très enthousiaste et très fière de son beau-père elle te le dira sans doute elle-même d'ailleurs.

Et maintenant je vais vous quitter pour faire le feu "mon feu" et je vous prie de croire que ça va chauffer...

Les nouvelles sont bonnes: tout le monde dort paisiblement même Norbert qui ne jase plus auprès de moi.

Je suis toujours à la recherche de travail, c'est à dire "au chômage". A part ça tout va bien.

En vous embrassant bien fort tous les trois et en vous félicitant tous les deux

je pense bien à vous

Donald.

Ihre Musik lieber Thys hat mich sehr berührt. Eine ganz neue unbekannte Welt der Symphonie hat sich mir eröffnet. Ich verstehe nicht viel über Musik sondern lasse mich nur von meinem Gefühl leiten. Sehr starken Eindruck machte mir (ich glaube es waren fast alle Instrumente des Orchesters beteiligt) die Freude des Friedens. Es war schon gegen Ende der Symphonie, als ich diesen Eindruck gewann. Ich fühlte die Freude der Violinen und von weit eine oder vielleicht mehrere Flöten. Und besonders schön finde ich den Schlusz. Ja es war seht schön. Ich bin stolz auf meinen Schwiegervater. Ihre Seele verstehe ich besser und als Mensch schätze und liebe ich Sie.

Ich küsse Sie

Ihre Trudi

Votre musique, cher Thys m'a beaucoup remué. Un monde tout nouveau et inconnu de la symphonie s'est ouvert à moi. Je ne comprends peut-être pas beaucoup de la musique mais je m'en rapporte plus à mon sentiment. Une impression très forte me fut produite par la joie de la paix (je crois prenaient part tous les instruments de l'orchestre). C'était presqu'à la fin de la Symphonie que me gagna cette impression. Je sentis la joie des violons et de loin une ou plusieurs flûtes. Je trouvais la fin particulièrement belle. Oui, c'était très beau. Je suis fière de mon beau-père. Je comprends mieux votre âme et apprécie votre être en vous aimant.

Je vous embrasse, votre

Trudi.