MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19491007 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

Parijs, 7 oktober 1949

Paris le 7-10-49

Cher Thys, chère Théa,

chère Odile,

La lettre m'annonçant l'exécution de ta symphonie m'a beaucoup réjoui et j'attends déjà les précisions pour pouvoir moi-même entendre ton œuvre. Je me doute que la plus grande joie doit être pour toi mais crois-moi je crois que j'y trouverai aussi beaucoup ma part. Entre parenthèses peux-tu as-tu seulement le temps, de m'envoyer un ou plusieurs canards relatant ce concert? Ça me fera plaisir je saurais certainement en trouver le sens – Tu doutes de mes capacités en hollandais? Eh bien si tu as encore un peu plus de temps envoie-moi un exemplaire de ton "Principe de la musique européenne". Je n'en tirerai certainement pas ce que tu demandes au lecteur mais fais-moi ce plaisir de posséder seulement "1" œuvre de mon père. J'ai lu dans ta petite chambre la première page ton prologue pour ainsi dire et je crois avoir saisi le sens – Du moins l'impression que ton style m'a faite m'a bien touché. J'étais dans ton ambiance. J'aime beaucoup ça. Peut-être au hasard de la compréhension trouverais-je de nouveau ce noyau. Le souvenir de cette page première, très précis fut l'occasion avec Trudi de t'évoquer. Tous deux nous aimons bien ta pensée, et puisque tu n'as pas le temps ou peu de nous écrire nous te retrouverons bien à travers tes lignes. C'est pour nous deux, j'ai remarqué, un terrain de belle harmonie, aussi voudrais-je l'étendre. A propos d'envoi quand vient "l'agrandissement"? Y as-tu pensé?

Eh bien il n'y a pas encore de quatrième... il a l'air d'être ponctuel puisqu'on l'attend pour le 10. Trudi va mieux qu'au début de la semaine [–] ses douleurs ont disparu du dos. Son seul sujet à lamentation est un compère-loriot venu subitement. Il paraît que chez eux on dit que lorsqu'on a ça à l'œil, on [a] regardé de trop près "l'arrière" d'une vache! est-ce que cette locution ne viendrait pas de Hollande où il y a des vaches dans presque toutes les locutions?...

Et Clarisse va bien – Qu'il est doux le soir de revoir sa fille! Le soir tombé après son dîner elle est déjà au lit quand j'arrive – A huit heures tapantes alors que je suis encore à la gare il paraît qu'elle se lève dans son lit et elle crie "Donal! Donal!" Quand j'arrive et qu'elle se trouve encore dans la pénombre je n'ai pas encore le temps de retirer ta gabardine qu'elle appelle déjà gentiment à travers la porte vitrée, dont les vitres manquent, "Cou-Coula Doudi, Cou-Coula Doudi!" et cette petite voix est si charmante! Que c'est beau un être qui parle parce que son cœur lui dit de parler. Alors quand je fais de la lumière dans sa chambre c'est la joie qui éclaire son petit minois et son plus beau sourire, tous les soirs le même, mélangé d'émoi et de joie. Un émoi teinté de légère pudeur où l'on reconnaît si bien l'élément féminin! Après m'avoir appelé avec tant de force elle se replie alors légèrement sur elle-même quand je suis là et ne me donne ce que j'aime en elle qu'à toute petite dose, élégamment sachant que je me délecte à la plus petite goutte et que j'attends patiemment la suivante. Si je lui demande si elle a déjà dîné elle ne répondra pas à voix haute, mais toujours dans son sourire gracieux et dans un souffle elle lance un "ja" bien doux, qui a l'air de me confier un petit secret. Et après avoir bavardé un peu, quand je lui demande si elle va gentiment s'endormir elle me répond encore un petit "ja" un peu plus fort, car sa réserve disparaît vite après notre bavardage, avec l'expression et l'intonation "oui! bien sûr fais-moi confiance je vais m'endormir gentiment." Et son petit ours (celui d'Odile) l'aide à rester sagement sous les couvertures. Voilà bien des choses sur Clarisse mais c'est l'expression de ce bonheur qui me remplit, qui m'étouffe ensuite lorsque je suis obligé de quitter sa chambre pour la laisser dormir –

Pour ma part tout va bien la santé se maintient – Aline avant de partir m'a donné quelques bouquins que toi-même lui avais donné avant de partir aussi. Entre [autres] le Typhon de Joseph Konrad que j'ai lu cette semaine. Tu te rappelles? Cette histoire de bateau dans une tempête sur les mers de Chine me plait beaucoup – Après l'avoir terminé j'ai relu la tempête de Virgile dans l'Enéide. Te rappelles-tu aussi notre traduction? C'est beau la tempête ça vaut la peine d'être chanté pas vrai Miaw? Les vers de Virgile nous mettent plus rapidement plus concisément dans l'épouvante mais le récit de Conrad y réussit aussi très bien dans sa longueur.

Maintenant je vous quitte en pensant bien à vous et vous embrassant bien fort

Donald –