MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19480919 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

Neuilly-sur-Marne, 19 september 1948

Ville-Evrard

S. et O.

Le 19 Septembre 1948

Cher Thys, chère Théa,

Comme un flambeau sacré je retransmets de mon petit coin de l'Europe l'écho de la joie profonde qu'ont suscité les premiers pas de notre Clarisse. Je viens de recevoir une lettre de Trudi où la joie, le bonheur d'une mère s'exprime si spontanément que pour ne rien perdre de la fraîcheur de ce sentiment, je m'empresse de vous le confier, car il me rend moi-même si heureux et je dois le partager avec vous. Notre petite Clarisse traverse la cuisine de sa grand-mère et ne s'arrête que lorsqu'elle tombe sur le nez et se met à rire sur le ventre quand cela lui arrive. Sa mère me raconte en plus de cela qu'elle pèse 11kg 300 et que lorsqu'elle s'approche du crapaud elle peut avec ses petites menottes atteindre les touches et "faire de la musique" ce qui veut dire qu'elle est bien dodue et qu'elle prend de la taille aussi. Elle aime bien que sa mère lui joue un petit morceau et parfois elle bat la mesure du bout du doigt avec beaucoup de précision écrit sa mère. Comment trouves-tu cela? Je suis impatient de revoir ce petit être qui doit avoir tellement changé en ce laps de temps. Il paraît qu'elle se rappelle son papa: quand Trudi lui demande "à quoi appartient le papa?" elle répond en frappant de sa petite main sur son cœur, comme si elle voulait signifier sa propriété.

De Vienne donc rien que de bonnes, touchantes nouvelles. De mon côté tout va bien aussi; je continue ma convalescence excellente et je suis en de toujours meilleures formes. Les occupations sont toujours les mêmes aménagement du terrain de sport, filet qui demande toujours autant de patience.

De Roland j'ai une belle carte de Lourdes en souvenir et une lettre où il m'annonce son retour à Noyon à la fin du mois. Il a un ton qui me fend le cœur. Anny m'envoie d'heureuses cartes où elle me transmet sa bonne humeur. J'ai eu la charmante visite d'Aline cette semaine qui m'a apporté, en plus de savoureuses victuailles, le grand Meaulnes. La réapparition de ce livre m'a fait naître bien des souvenirs. Ce papier jauni dans l'atmosphère enfumée de ta pipe parle avant que je ne l'ouvre.

Quelles sont les nouvelles de ton côté, Miaw? je souhaite en premier lieu une santé toujours excellente à Théa. J'aurai grand plaisir à vous revoir avant de reprendre mon travail comme tu le suggérais, Thys mais le pourrais-je? Je crois que je devrai y renoncer et qu'au printemps prochain, je viendrai vous présenter ma petite famille. Pour cette année ça ferait de trop grand frais je pense. Aux dernières nouvelles je suis bien décidé à changer de port d'attache et de m'en remettre à Christian. Je garde encore la possibilité de préparer le même examen pour le dessin industriel et de le passer en Juillet. Alors j'envisage l'avenir avec optimisme.

Me rapprocher d'Anny me fait beaucoup de plaisir. Il sera peut-être difficile de trouver un logement mais ça, on le dit partout et tout le monde a bien son petit chez soi. Le hasard que j'ai trouvé à Louveciennes, je le trouverai aussi à Lyon. Anny s'attachera certainement à Clarisse elle pense déjà à la gâter!

A part ça les riants coteaux des bords de la Marne réveillent en moi une belle nostalgie de la peinture. Les nobles peupliers frémissent au vent, et les petits toits rouges, les murs blancs ressortent dans cette belle verdure. Le repos de l'esprit peut être complet un jour de ciel bleu.

Je vous embrasse bien fort tous deux et pense beaucoup à vous

Donald