MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19480812 Matthijs Vermeulen aan Donald Van der Meulen

Matthijs Vermeulen

aan

Donald Van der Meulen

Amsterdam, 12-13 augustus 1948

Amsterdam

Heerengracht 330

le 12 août 1948

Jeudi.

Mon cher petit Donald,

Comme tu as pu savoir par la réponse immédiate de Thea, ta lettre du IV, et les présages, les promesses que nous y avons trouvés de ta prochaine guérison, nous ont procuré une véritable joie. Ce qui me contente aussi c'est qu'il me paraît que ton esprit a atteint pendant cette crise de croissance une maturité, une certaine bonne densité qui est très rare pour les gens de ton âge, et qui t'ouvrira tôt ou tard beaucoup de possibilités. J'espère que tu resteras toujours aussi réaliste et rationnel que tu es maintenant. Tu sais fort bien regarder, peser, juger les choses. S'il t'arrive un jour l'envie d'en faire une description, décris les alors avec ce même regard perspicace, exact, vigilant. Faisant de la sorte tu éviteras le conventionnel spontanément, et tu arriveras d'emblée à l'originalité sans que cela te coûte le moindre mal. Tu n'auras qu'à écrire exactement ce que tu vois et ce que tu ressens en le voyant.

C'est une bonne idée de vouloir apprendre le dessin industriel et j'espère que les projets qui se forment dans cette direction, aboutiront. Avec l'inclinaison et le talent que tu as toujours montrés pour le dessin fantaisiste ou artistique, tu réussiras sans grande peine, il me semble, dans le dessin industriel, qui a, en soi, déjà le précieux avantage, comme métier, de posséder un élément créateur, même quand on ne dessinerait qu'un modèle d'une chaise, ou d'un moulin à café, pour ne citer qu'un exemple parmi les plus humbles. Cela vaudra cent mille fois mieux qu'un emploi de scribouillard ou comptable, ou autre chose dans ce genre. Pour le démarrage tu peux être sans inquiétude. Thea trouvera certainement quelque truc pour te faire parvenir les fonds qui te seront nécessaires. Elle a dans son cœur autant de sollicitude pour toi qu'aurait eu Fofo elle-même, que Fofo a sûrement encore, et je n'aurais pas besoin de te dire combien je suis reconnaissant de cela à Thea, et comme elle me semble en cela et en autres choses admirable. Donc dès que tu sauras approximativement la date de ta sortie et dès que tes plans auront pris une forme fixe, renseigne-nous le plus vite et le plus amplement possible.

Vendredi après-midi

Je n'ai pas pu finir, ni continuer. Il y avait un orage avec beaucoup de tonnerre et des masses de flotte, ce qui occasionne toujours quelque dérangement, même sous un toit sûr comme celui de cette bonne maison. Et puis je suis allé chercher du pain, avant de me rendre en toute hâte à la réunion hebdomadaire de mon journal. Le soir je ne travaille jamais. Parce que j'aime bien muser un peu, et que cela ne me réussit pas pendant la journée.

Nous avons encore plusieurs choses à traiter ensemble. Par exemple si la sculpture et la peinture (à l'encontre de la musique) sont des arts "artificiels" qui demandent autant d'intelligence et de préparation que les notes (je n'en doute pas et je te le prouverai un jour!) et ensuite si l'Esprit Créateur attache plus de prix aux corps qu'aux âmes. Ça, mon vieux, je ne crois pas l'avoir dit. Si tu m'as entendu ainsi, c'est que je ne me serais pas exprimé clairement. Ce qui me semble indéniable voilà: L'Esprit Créateur attache autant de valeur aux corps qu'aux âmes, et on peut déduire cette affirmation du simple fait que toutes les formes des animaux (il y en a un petit million) en soi sont parfaites. Maintenant si on pense qu'une âme est impuissante sans l'intervention d'un corps on peut bien s'imaginer que l'Esprit Créateur balance quelques fois à qui des deux il doit donner sa préférence, et que son idéal doit être: la plus belle âme travaillant avec le plus beau corps. C'est sans doute l'avenir plus ou moins lointain, mais qui vaut la peine d'être fait, et qui demandera des efforts! Tu vois: je ne cherche pas midi à quatorze heures! On en parlera encore ensemble. Peut-être même ici, dans ma petite cellule.

En ce qui concerne ton établissement à Louveciennes ou ailleurs, il me paraît qu'il faut te laisser guider par ton instinct. Faire une cure de romantisme ça peut avoir ses bons et ses moins bons côtés. Parfois les lieux où on a ses plus chers souvenirs fortifient; mais parfois aussi ils affaiblissent, et on tourne autour de ses rêves comme un écureuil dans sa petite roue de bois, ou comme un cheval dans un manège d'autan, qui étaient tirés (ce que j'ai encore vu, mais pas toi) par des haridelles. Tu as le temps encore de penser le pour et le contre, car s'éloigner des lieux de ses souvenirs peut également causer des dégâts. Pèse cela prudemment. En tout cas si tu retourne à Louveciennes fais le avec la ferme intention d'y rentrer avec une âme neuve et un cœur neuf, et d'éviter tout qui pourrait te faire dévier d'un travail réaliste, de pensées réalistes. Fais donc ce que te semble le meilleur, mais avec une forte et irrévocable décision de te tenir au réel, de fonder un bonheur réel, avec des joies pour Trudi, pour Clarisse et pour toi, des joies immédiates, palpables, bonnes, réelles. De cela aussi nous parlerons avant que tu entreprennes ta nouvelle étape, car j'espère bien que tu pourras venir quelques jours ici avant de commencer ton stage de dessinateur.

Thea va lentement mieux, mais ce n'est pas encore cela. "Le Mioche" par contre (comme nous l'appelons en riant) se trouve très bien où il est. Nous t'embrassons affectueusement avec quelques bons baisers, et à bientôt une lettre de toi

ton

Miaou

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA