MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19480314 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

Louveciennes, 14 maart 1948

Louveciennes le 14 mars 1948

Cher Miau!

Ce matin la joie de voir dans le petit casier de famille, cette petite boîte brune en bois décoré où nous mettions les carnets à Orival dans la cuisine, et que j'ai retrouvée dans la malle à Anny –, dans ce bijou de famille j'ai retrouvé une lettre de toi. A la couleur des timbres j'ai reconnu d'abord toi et ensuite une missive fraîche. Écrite le 11 ça c'est de la vitesse –

Espérons que ton cadeau d'anniversaire fasse autant [de] diligence puisqu'il fut si retardé par ces vicissitudes dont tu parles. Une du moins est partie: le froid – Le printemps monte lentement et le matin à l'aube nébuleuse, le souvenir de nos adieux sur le quai de la gare me vient bien souvent. Tous les matins à 6 45 je prends le train pour Paris sauf le samedi et dimanche. Je me lève en général à 5H, 5H 30 fait un petit peu de feu pour réchauffer une vieille soupe ou une purée ou même de l'eau pour avoir quelque chose de chaud dans le ventre les derniers jours je fais aussi une tisane d'Auvergne pour Trudi qui tousse encore après cette bronchite qui nous a donné bien du mal. Nous déjeunons ensemble et même Clarisse montre parfois un appétit. La corvée d'eau à la cave est bien vite faite et ensuite je m'en vais laissant le lit chaud à mes deux chéris. Pour un voyage de 12Hres. J'arrive à la porte Maillot à 8h moins le quart où se trouve mon centre de formation juste à côté du square Anna de Noailles que tu trouveras aisément sur un plan si toutefois tu en as encore un. Là j'ai un quart d'heure de récréation dans ce square où il y a un petit motif de jets d'eaux: une blanche et jeune Venus debout, se protège avec ses mains devant elle (dans une position de recul avançant) d'un jet, ou quelque chose invisible à cette époque qui sort de la bouche d'un vieux barbu qu'ouvre ferme et referme (à supposer) un jeune garçon dans le même costume mais agenouillé sur le rebord de cette fontaine1. Le tout a beaucoup de grâce et de charme je trouve. Et est devenu l'objet de mes esquisses lors de cette récréation malheureusement si courte. Donc à huit heures je me dirige vers cette cave où je ne vois la lumière du jour que lorsque la nature me donne un besoin que l'on bénit, tant ne serait-ce que pour jouir de ce que Dieu donne à tous. A midi, 3/4 d'heures sont là pour jaillir hors des murs. Quand il faisait froid je mangeais à la cantine. Depuis quelque temps où j'ai attrapé un embarras gastrique à manger cette nourriture de chien, j'emporte un casse croûte, un œuf dur un bout de fromage, des pommes terres déjà cuites que je réchauffe sur [le] poêle de l'atelier, et me dirige à grand pas vers l'avenue Foch au rond point de la porte Dauphine, cette belle avenue avec ses bancs sympathiques. Là je m'installe et enfile mon repas en un quart d'heure. Quelques minutes pour laisser flâner le regard sur des gens bien habillés qui passent, se promènent; sur des enfants qui jouent près de moi. Sur des chevaux qui passent au pas lent que veulent bien leur donner le cavalier ou la cavalière. Sur un cheval au pas lent qui tire une lourde charrette......

Et puis vient la récréation de nouveau. Je traduis Trine en allemand pour Trudi sur une feuille de mon petit bloc pour lui remettre le soir – Petit travail qui occupe mes deux petites dernières heures de train lorsque je ne tombe pas de sommeil. A propos pour précipiter notre déménagement de chez Louise où il faisait si froid, j'ai travaillé une fois toute la nuit dans mon grenier. Le matin sur le chemin du travail je me suis endormi debout dans le métro: ce n'est qu'à la chute de ma serviette que je tenais dans la main que je me suis réveillé. Comique! C'est une sensation vraiment étonnante. Bref, s'il me reste un peu de temps, je croque une de ces vieilles maisons qui bordent l'avenue non qu'elle soit d'une beauté remarquable, mais en tant que représentante d'une époque qui fut meilleure du moins je le suppose. Et puis je cours vers ma cave je retrouve mes collègues. Le moniteur est un noir algérien brave type. Nous sommes dix élèves un martiniquais, un indochinois et 8 français dont ½ des types ordinaires – On m'a dit que j'avais une belle écriture au tableau! C'est drôle comme on peut briller dans certaines obscurités.... (En relisant je m'aperçois que la beauté de mon écriture ne te toucheras pas, TOI)

Enfin au milieu de cette communauté nouvelle j'exerce les mystères de la force spirituelle. Curieux comme observations et toujours profitable. Le contact forcé avec d'autres êtres, voilà une chose toujours redoutée et pourtant qui apporte tant de choses salutaires. De cette cave j'apprends une seule chose avec plaisir qui me sera très utile plus tard: le plâtre d'une poudre et d'un liquide faire un solide qui prend la forme que tu veux.

C'est ainsi qu'arrive cinq heures, heure à laquelle je cours vers mes deux chéris. Je les retrouve dans mon grenier ensoleillé. La seule pièce où le soleil donne, est déjà installée c.à.d. aménagée; sous la sous pente entre deux placards faits pour rattraper la verticale d'un plafond fuyant, se trouve notre grand lit entouré d'une petite bibliothèque demi-circulaire à laquelle je me cogne de temps en temps – lorsque j'oublie le modernisme dans lequel je suis.... Les placards sont chêne foncé, les murs beige clair – la bibliothèque blanche – La fenêtre voulait être blanche mais tire un peu sur le gris – Un petit poêle miniature dans le coin de la fenêtre puis un banc en osier que Louise nous a donné avec quelques bricoles, et puis un bureau fait d'une planche, montée sur deux valises, recouverte d'une nappe de la Bicoque – C'est là que je peux t'écrire en paix, où les heures de repos du samedi s'écoulent avec toi. Sur la bibliothèque aux deux coins, les deux vases de chine bleus de Fofo dans l'un desquels sont depuis hier les premières violettes de l'année que j'aie rapportées à ma chérie ou peut-être à mes chéries puisque Clarisse prend de plus en plus de place et aura bien une violette sur la dizaine que forme le bouquet. La soirée se passe bien tranquillement dans cette chambre où le ronflement du poêle endort Clarisse tandis que je m'affaire à préparer le lendemain – Ou bien je bricole à droite à gauche pour nous donner un peu de confort. C'est ainsi que la vie passe.

Cet après-midi j'ai reconquis du terrain perdu après un bombardement secret, je suis allé sonner à la grille de la Bicoque. Toujours la même sonorité cette sonnette. J'ai attendu longtemps comme dans le temps les mendiants qui sonnaient chez nous pour avoir un morceau de pain et quarante sous. Un monsieur entre les deux âges vint m'ouvrir; après m'être présenté je lui adressai la prière de me donner le vieil écriteau de la Bicoque, ayant remarqué qu'il avait disparu du petit toit où il s'abattait et pensant qu'il traînait sans doute dans le hangar. Ce n'était pas le cas. Ce monsieur voulait peindre dessus: "La Maison Grise" l'avait dans ce but passé en blanc mais s'était aperçu après coup que l'écriteau n'était pas assez long pour cette dénomination – m'offrant une cigarette il m'invita à un tour de jardin et se disposant à me donner la planche virginale qui était dans ton studio. Pénétrant dans le vestibule montant l'escalier entrant dans ta chambre comme si jamais je n'y étais allé, tout m'était tellement étranger tout a tellement changé, rien n'est plus La Bicoque. Des couleurs claires à l'intérieur des innovations dans l'éclairage, ta chambre un luxueux bureau au couleurs criantes et brillantes ton piano parti, la salle à manger avec une table de ping-pong, tout avec ce cachet moderne qui chasse tout souvenir. La fenêtre de la cuisine aux 2/3 supprimée le chêne de Josquin transplanté un peu plus dans le fond du jardin un monticule à l'emplacement du sapin comme la tombe d'un mort récemment enterré.

Les lilas de la cuisine transplantés au fond de la terrasse la charmille du saule qui est rasée, que de choses que de fils coupés qui nous reliaient à ce sol, à ces murs – Arrivé dans ta chambre il me tendit cette planche blanchi à moi désabusé. Je repris cependant courage dans l'accomplissement de ce pèlerinage lorsque sous la couche de peinture je pus lire LA BICOQUE. Mes ornements disparus naturellement mais le principal était là – avait tenu le coup je mis donc l'écriteau sous mon bras et me confondis en remerciement. Mon butin fut vite dans mon grenier et sans rien dire je le présentai à Trudi. Après l'avoir regardé de tous côtés en se demandant ce que cela pourrait bien être elle me demanda. "C'est un secret, dis-je, que seul saurons ceux qui sont liés à cette planche". Au bout de quelques secondes elle s'écria "LA BICOQUE!" Et ce panneau blanc pendra demain sur la porte de mon grenier...

Bien sûr que je donne des baisers à ma Trudi pour la récompenser de sa vaillance comme tu dis. Que crois-tu donc? Je préfèrerais lui donner du beefsteak (mais ça viendra aussi) car elle a maigri terriblement – Elle n'en est que plus belle d'ailleurs, ce qui la console.

Je t'ai pas encore dit que j'ai trouvé une dérivation merveilleuse de mon art, dans l'assouvissement de mon besoin de créer c'est dans la sculpture que j'ai trouvé cela – De Vienne j'ai emmené avec moi un marteau et un burin qu'un vieil artisan qui travailla à ma "voiture moderne" m'avait confiés. Il les aimait bien ces outils et moi j'ai appris à les aimer à les faire voler autour d'une pierre ramassée sur le bord de la route entre Paris et Amsterdam (exactement Noyon). Quelque chose grandiose: sur quel coin de terre ne se trouve-t-il pas une pierre? même dans la cour en bas des dizaines m'attendent, attendent le jour où je serais prêt où tout sera redevenu calme où la vie aura repris son mouvement régulier qui n'en est pas un, comme un bouchon sur une mer calme bercé par quelques vagues régulières qui ne le font pourtant pas changer de place – Puisque Dieu ne me permet pas pour l'instant un art plus luxueux et puisque ma flamme brûle autant de ce côté, béni soit Dieu qui nous laisse toujours une passerelle à lui – Je t'embrasse bien fort et t'aime beaucoup – Bons baisers à Théa. Trudi vous envoie son tendre bonjour –

Donald –

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA

  1. 'cette fontaine': werk van Marcel Courbier (1898-1976), beeldhouwer uit Nîmes.