MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19460926 Matthijs Vermeulen aan Donald Van der Meulen

Matthijs Vermeulen

aan

Donald Van der Meulen

Amsterdam, 26 september 1946

Amsterdam

330 Heerengracht

le 26 sept 1946

Mon cher petit Donald,

Enfin la première lettre de toi depuis mon arrivée à Amsterdam! Tu n'as pas été pressé; mais je me dépêche de t'y répondre. Seulement, n'attends pas de moi que je t'écrive en allemand. D'abord, parce que du total de mes souvenirs il doit résulter que je n'aime pas cette langue. Ensuite parce que t'écrivant en cette langue je ferais encore plus de fautes d'orthographe que toi quelquefois n'en commets en français, dans lequel tu as reçu une si bonne instruction! troisièmement et dernièrement, si ta charmante et ex-coquine magicienne veut lire mes épîtres tête-contre-tête avec toi (et sûrement c'est délicieux quand on s'aime) elle n'a qu'à apprendre le français. De toutes façons cela lui sera utile. Aussi pour parler avec toi, et pour t'entendre. Je le trouve même nécessaire. Pour qu'elle t'écoute tu peux toujours te réserver l'allemand!

Alors voilà. Notre de Théa et moi c'est très bien passé. Certainement, quitter la France, où je laisse ces parcelles de moi, m'est allé au cœur. Mais au fur et à mesure que le train m'éloignait de ce centre de mes pensées de vingt cinq ans, mes émotions se sont radoucies également, pour s'apaiser entièrement. Joanna nous a accueillis à la gare. Notre petite maison nous attendait, toute prête. C'est un grenier miniature où ma tête touche presque le plafond. Il y a une chambre avant qui regarde l'eau et les arbres de la Heerengracht. Au fond de la chambre une cuisine minuscule où on doit chercher avec soin un endroit pour placer une casserole dont on n'a plus besoin; ce qui apprend la prudence, la circonspection! A l’arrière, après avoir traversé un couloir, on arrive dans ma chambre qui est plutôt une cellule. Je regarde sur un petit toit qui a de très jolies vieilles tuiles rouges, je regarde sur quelques cimes d'arbres qui balancent dans le vent, et encore sur d'autres toits dans le lointain. C'est pittoresque; cela a un air de romantisme et d'autres siècles. Sous les toits de…! Sur les toits de…! Cela manque évidemment d'espace vital, et il me serait impossible par exemple de t'y loger; si tu venais ici tu devrais coucher à l'hôtel ou ailleurs, à moins que d'ici là nous ne fassions des agrandissements. Mais c'est tout à fait charmant, il n'y a que des belles choses choisies avec amour, et c'est juste ce qu'il me faut pour l'instant. Un peu dommage qu'il n'y a de place pour un piano; mais celui-ci sûrement viendra aussi en son temps. Le jour après notre arrivée j'ai commencé mon travail à ma bibliothèque. Et le dimanche après, deux jours plus tard, j'ai entrepris mon premier article, pour ne pas perdre l'habitude! Théa aussi a recommencé tout de suite son boulot. Nécessairement il y avait un tas d'autres choses à faire, les cartes de ravitaillement et tout le tralala, des gens à voir, des concerts, et le reste. On manque de temps. Mais je me suis habitué et acclimaté très vite. Il y a aussi encore le texte de mon bouquin que nous copions ensemble, ce qui prend une partie de la matinée. On a dépassé la moitié maintenant; mais les journées sont toujours trop courtes. Tu me demandes de te raconter mon bonheur. Je voudrais bien. Mais c'est impossible. Cela ne se raconte pas. Sache seulement que nous passons le plus de temps possible ensemble, et qu'il n'y a rien de plus beau, ni de plus rare en ce monde qu'un regard et un sourire aimants qui disent la joie d'aimer.

Tu sais maintenant le principal. Je suis content que tu as reçu les cinq colis. Quant aux disques de ma sonate pour violoncelle dis à ton directeur que je te les enverrai dès que je pourrai, mais que pour le moment il est encore défendu d'expédier des paquets de Hollande en Autriche. Cela ne durera pas éternellement, mais pour l'instant il n'y a rien à faire. A cause de cela j'aurais bien voulu te voir aller avec quelques vivres chez "mon docteur", qui est un ami de Théa, et qui en a probablement besoin. – J'ai eu une lettre de Anny qui, d'après l'adresse qu'elle met sur l'enveloppe, doit être déjà à Noyon. La "pauvre chérie" tout à coup ne sait apparemment pas où se tourner. Je n'ai rien compris à son histoire; tous les pourparlers qu'elle a eus avec Abbé Rémy s'annonçaient favorablement. Et soudainement elle fait comme si elle en avait assez de tous ses projets religieux et de n'avoir rien de plus pressé dans son cœur de quitter St Germain. Heureusement que Roland a justement sa grande bâtisse pour la loger. J'ai l'impression qu'elle s'est sentie bien seule après notre départ. Mais je ne me l'explique pas, car elle ne nous a rien laissé prévoir de ce genre, étant toujours assez gaie et insouciante de son avenir. J'espère que Roland sera meilleur psychologue que d'ordinaire, et aussi que moi.

Donc, mon vieux, à la prochaine, qui dépendra de toi. Théa est là pour me rappeler très gentiment qu'il y a une lettre à laquelle il faut répondre. Elle t'envoie un bonjour affectueux. Garde-toi en bonne santé. Ne néglige pas ton esprit! C'est beau n'est-ce pas un vrai orchestre!? Cela vaut mieux que toutes les Radios du monde. Mais je me passerais bien de regarder les "chefs" que j'ai vus jusqu'ici. Je ne soupçonnais pas qu'ils fussent devenus de tels clowns!

Encore une fois, à la prochaine. Tu peux donner de ma part un baiser à ta charmante ex-coquine, mais seulement si elle le mérite de mon point de vue! Toi, je t'embrasse bien, et de tout mon cœur,

ton Miaou.

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA