MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19440518 Josquin Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen en overigen

Josquin Van der Meulen

aan

zijn ouders, zuster, broers en verloofde

Lerida, 18 mei 1944

Hotel Moderno.

Lérida le 18 Mai 1944

Saint jour de l'Ascension.

Cher Theys, chère Fofo, chère Anny, cher Donald, cher Roland

Très chère petite Aline,

N'ayant plus de papier assez épais pour écrire à la plume, je me sers de la machine. C'est plus froid, un peu administration, mais comme vous le pensez le cœur y est!

Aujourd'hui le temps est pluvieux, ce qui est rare ici. Pour mon compte j'aime ça. Un peu de vent, de la brouillasse cela me suffit pour penser à mon bled et aux nombreuses ballades que j'ai faites avec Theys. Je suis allé tout à l'heure faire une promenade aux bords de Lérida. C'est calme et verdoyant. On se croirait par ce temps dans un des nombreux coins de France. En passant devant une usine désaffectée je remarquais sa cheminée de briques et je me souriais en me demandant si elle penchait vers l'Ouest ou vers l'Est! Tu te rappelles Theys? Ne pouvant trouver une réponse, j'ai continué ma ballade en suivant un chemin bordé d'acacias en fleur. Quelle odeur enivrante! Rien qu'à la sentir on sent monter du plus profond de soi une impression de bonheur. Je ne connais que le parfum des glycines pour me donner une aussi agréable sensation. En respirant à pleins poumons j'ai marché jusqu'à ce que les acacias deviennent des ormes. Alors la griserie cessa et mes pensées revinrent à des choses dans lesquelles mon cœur n'est pas de la partie. Oui ma petite Aline les pensées qui me parcouraient avant les ormes tu les devines facilement et je suis sûr quelles auraient été les tiennes dans un cas semblable. C'est un des beaux côtés de la vie que de pouvoir ressentir à certains moments une communion complète avec l'être que l'on aime. Que ce soit le parfum des fleurs, un coucher de soleil, un arc en ciel, l'eau qui coule, il y a toujours quelque chose de beau pour évoquer le souvenir du visage aimé. S'il n'y avait cela on oublierait vite, et, malgré les promesses les plus sincères, l'amour s'en irait au vent. Sensiblerie? Je ne crois pas. Lorsque l'on bourlingue et que l'on veut malgré cela garder l'amour fervent au cœur, il faut lui vouer un culte sinon sans que l'on n'y puisse rien, lentement mais sûrement IL disparaît. C'est le cas de la plus part des types, malheureusement. Tout ce que j'écris là c'est ma propre expérience qui me l'a enseigné. Tout cela m'a donné la certitude de mon amour et de la fidélité que je lui garde. Pourtant, tout, autour de moi incite à penser à autre chose qu'à la fidélité. Je ne m'imaginais pas qu'il était nécessaire de lutter contre l'oubli lorsque l'on aime vraiment, mais la vie me montre cette nécessité. Je suis content de m'en apercevoir, ainsi je ne serai pas roulé! Toutes les "Fois" doivent être entretenues si elles ne veulent pas être perdues, j'ai lu un jour. C'est vrai! Aimer à distance, c'est avoir la Foi en l'amour, en quelque sorte. Enfin, j'ai assez parlé de la fidélité, aujourd'hui et les autres jours, parlons d'autre chose comme dit Theys. C'est vrai que pour moi se pose toujours le problème de remplir une page!!! Je blague Aline. Ce que j'écris, c'est ce que je pense. JE T'AIME... mon petit ange musicien. Tu sais la petite Aline au manteau gris souris, à la voix triste et si douce. La petite Aline telle que je l'ai découverte. Ensuite y a la petite Aline chérie, celle qui voulait bien devenir ma fiancée. La petite Aline qui dormait avec moi. La grande Aline que j'ai quittée, et qui a tenu jusqu'au bout. Aline qui travaille, Aline qui prie, Aline qui joue, Aline qui pense, c'est la jeune fille que j'AIME. Je t'embrasse de tout mon cœur, et je demande à Dieu qu'IL te donne tout le courage qu'il faut pour attendre, AIMER, et espérer de si loin.

J'ai écrit tout cela pendant un grand orage qui a éclaté tout à coup. Ce petit entretien sur la fidélité m'a fait oublier le reste. Excuses! Oui, alors je disais que lorsque j'avais quitté la promenade bordée de ces chers acacias mes pensées revinrent à des choses moins sentimentales. C'est à dire d'autres sentiments. D'abord c'est la tombe de deux aviateurs allemands tombés au cours de la Guerre ici, que je regardais, en pensant aux types, à leur idéal et à ceux qui les ont perdus. Que le temps passe vite! 1938... c'est comme si c'était hier. Sur la tombe, juste, en plus des noms et de la date de chute, ces mots: MORTS pour DIEU et pour l'ESPAGNE. C'est la vie! Je pense aux autres qui tombent chaque jour. Je pense à l'ESPOIR, de chacun. Je pense au mien......

Ce matin j'ai assisté à une messe chantée en grégorien. Vous ne pouvez savoir comme cela peut faire plaisir de réentendre cette musique. Oui Theys c'est bon l'odeur de l'encens. Cela remue aussi en moi ce que des ancêtres m'ont transmis de leur Foi et de leur amour des lieux saints. C'est si bon le calme d'une église. Je suis sûr que même si je n'étais pas chrétien ce serait pour moi une source de Paix et de repos que d'entrer dans une église. Enfin lorsque je regarde en arrière je vois qu'il y a quand-même quelque chose qui marche mieux qu'avant. Je trouve maintenant plus facilement la force de penser d'abord au But, quitte en sacrifiant certaines joies, à souffrir un peu plus longtemps. J'espère pouvoir cela toujours, jusqu'à ce que mon but soit atteint. Cela me promet encore bien des renoncements, mais je suis arrivé à un tournant d'où je dois sortir avec quelque chose dans les mains si je veux prétendre être un homme et réaliser mon plan initial. La sentimentalité m'a freiné jusqu'ici. Si la main bienveillante du Destin ne m'avait pas guidé il y a de fortes chances que j'aurais tout à fait raté mon truc. Qu'est-ce que le Destin attend de moi, et dans quelle mesure mes erreurs passées m'empêcheront de réaliser ce que je nomme mon truc? Je n'en sais rien, ou très peu du moins. Je sais seulement une chose c'est que je veux y arriver et que tant que je n'y serai pas arrivé, je ne rentre pas. Pourquoi direz vous? Parce que je suis stimulé par la séparation simplement. Le temps? Pas si longtemps que ça. Enfin, je vous dis merci à l'avance pour vos bons vœux, et vos prières. Je ne demande qu'une seule chose même s'il me faut pour cela traverser l'Enfer c'est de réussir. Car je veux fonder un foyer à mon retour n'est-ce pas Aline? Pour fonder un foyer comme nous en rêvons un il faut avoir de quoi. Voilà!

Certains trouveraient étonnant que j'ai le temps de penser à ces problèmes et surtout d'en faire la pièce principale d'une lettre. Pour moi ce n'est pas du tout construire des châteaux en Espagne, car je ne fais aucun plan d'avenir en dehors de celui de vouloir fonder un foyer solide avec celle que j'aime. Je suis trop dans le réel pour pouvoir rêver, et je pense constamment à ce qui s'oppose ou va s'opposer à mon avance, mais je n'oublie pas ma promesse et ce qu'elle comporte.

Encore un laïus qui rallonge ma lettre!! Enfin il faut bien que je fasse l'exposé de ma façon de voir après mes dernières réflexions, vous voyez ainsi mon évolution, tout au moins ce que j'imagine dans ma suffisance d'homme être une évolution!!

Quand cette lettre arrivera j'espère que j'aurai fait du chemin. Donald je te souhaite un heureux anniversaire. Je t'embrasse et te dis bon courage.

Je termine le reste à la plume! Pour que cette lettre arrive je l'enverrai "Certificada". Je vous quitte là. Au revoir. Bon courage.

Je vous embrasse tous bien fort. Surtout toi Aline!

Josquin

P.S. C'est fatigant d'écrire directement à la machine!

[onder dagtekening, in het handschrift van Anny Vermeulen-van Hengst:] reçue le 15 juin

louter in transcriptie overgeleverd

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA