MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19640603 Matthijs Vermeulen aan Donald en Janine Van der Meulen

Matthijs Vermeulen

aan

Donald en Janine Van der Meulen

Laren, 3 juni 1964

Laren (N.H.)

Drift 45

le 3 juin 1964

Cher Donald, Chère Janine, Chère Dominique, Cher Josquin,

Tu vois, Donald, je prends la plume largement avant la date de ton anniversaire. C'est que hier j'ai terminé la première partie de ma septième symphonie, et que c'est aujourd'hui le premier jour depuis plus d'une année que je n'ai rien à la tête. Je me presse donc. Car je me souviens bien de la lettre de Janine du commencement de l'automne, avec la gentille photo de vous quatre et de Cabri; des jolies cartes de Dominique et de Josquin, faites par eux-mêmes, de la Noël et de Nouvelle Année. Et vos bons vœux pour mon 76me anniversaire; déjà trois occasions perdues pour vous envoyer un petit mot. Bon Dieu que c'est loin déjà. Heureusement les nouvelles de chez vous étaient rassurantes, exceptés les yeux de Dominique. Comment cela a-t-il évolué? Et l'amélioration dans l'état de Janine? Nous y avons pensé souvent, et bien sûr nous avons espéré que tout cela aura pris une bonne tournure.

Moi-même pendant ce temps j'ai eu mes soucis à cause de la santé de Thea, mais depuis deux semaines environ il paraît qu'il y a des progrès plus stables qu'auparavant. Quand même je ne suis pas tout à fait tranquille encore. Pour ce qui me concerne, des petites incommodités de temps à autre, mais aucune interruption dans mes occupations et activités journalières. Chaque matin levée et reprise de mes travaux ordinaires. L'humeur, en général, a été excellente, sauf quelques nuages passagers. L'hiver a été assez dur et long, mais heureusement sans beaucoup de neige, car alors il faut balayer, dès que ça tombe. Les oiseaux ont été même mieux nourris que jamais, et il y en avait des quantités. Dans le ventilateur, hors d'usage, de la cuisine, il y a de nouveau un nid de mésanges. Tout ce petit peuple nous récompense maintenant par son chant. Fin janvier notre râle, qui me rappelle Louveciennes, était à son poste, où je l'attends chaque année. Cela va bien donc. Le 15 décembre on a joué à Amsterdam et ailleurs mon quatuor à cordes. Cela a été un succès. Le 5 mai dernier on a joué à Amsterdam ma première symphonie. Je l'ai composée entre 1912 et 1914. J'avais donc 26 ans alors. C'était pour moi et pour tout le monde une première audition. Tu comprends: 50 ans, un demi-siècle, de silence. Elle devait tenir le coup comme on dit. Eh bien, elle l'a tenu. Et moi aussi je devais tenir le coup. Car cinquante années de retard pour la première, trente quatre ans de retard pour la Deuxième, cela ne représente pas seulement pour l'œuvre une épreuve formidable, mais aussi pour son auteur, qui a vu passer sa vie dans toutes sortes de tribulations, une épreuve indescriptible. Bon, j'ai tenu le coup, quoique pas sans peine. Pour la symphonie ce fut encore un succès. Elle est restée valable. Je le savais, bien sûr, mais c'est ça justement la difficulté. On ne peut pas s'y résigner, on ne peut pas se révolter. Exactement le prisonnier à vie entre quatre murailles, et même sans une lucarne.

Peu de changement ici. C'est vrai, on a élargi, doublé la grande route par laquelle nous sommes arrivés (avec toi) en 1956. Tu ne reconnaîtrais pas le paysage. C'est devenu plus large, et même plus beau, quoique je n'aime pas le changement. Mais les alentours de notre maison sont restés intacts. Notre jardin est toujours le même. Sauf la balançoire. Elle pourrissait dans ses pieds, elle a été abattue et sciée par nos propres mains. Dans ma bicoque j'ai maintenant devant les yeux un champ de pommes de terre. Le printemps a été assez favorable. J'ai pu cesser de chauffer au début du mois de mai, ce qui est un avantage considérable en comparaison des deux années précédentes. Mais depuis dimanche dernier le temps s'est gâté. Anny vient ici régulièrement tous les après-midi de dimanche. Elle ne vous écrit pas, dit-elle, parce que vous ne lui écrivez pas. Elle est toujours aussi égocentriste, revancharde, bavardeuse et caqueteuse, mais avec ça bonne fille, pleine de contradictions. Odile continue de faire de très bonnes études à son lycée. Pour l'instant elle veut devenir cantatrice, et même cantatrice d'opéra. On a le temps de voir venir. Elle est presque aussi grande que moi, très élancée, romantique et très enjouée. Elle passera une partie de ses vacances avec tante Joanna et son fils en Autriche. Elle me traite comme son copain et je ne reçois pas mal de bourrades. Elle est très gentille.

Voilà mon cher Donald, ce n'est peut-être pas tout ce qu'il y aurait à raconter (notre chatte est toujours là et fait interminablement de nichées que je noie impitoyablement avec regret) mais je ne trouve pas plus. Alors, reçois nos plus chaudes et plus affectueuses félicitations, pour toi et pour les tiens. Nous vous embrassons tous très fort avec nos meilleurs vœux, particulièrement pour toi

de ton

Miaou.

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA