MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19570214 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

La Garenne, 14 februari 1957

La Garenne. le 14 Février 1957

Cher Miaw, chère Théa, chère Odile,

Ma journée se passe entre deux trains. Le matin à sept heures moins le quart je vois le vieux train à vapeur venant de la grande banlieue et qui repart sur Paris. Je l'entends surtout: son crescendo puissant me grise depuis plusieurs jours. Tout cet ensemble laborieux m'en impose. Je le salue de la main avec émoi et respect et leur envoie un "Bon voyage les amis!" qui se perd dans les jets de vapeurs, les roues qui cognent, le rail qui chante déjà –Alors je monte sur mon petit cheval qui couche le long de la voie ferrée accroché à la barrière. Il me raconte qu'il en vit beaucoup de trains dans la nuit, des rapides, des lourds et lents. Il commence alors aussi son ronronnement qui soulage mes pédales de cette aide délicieuse dont grand-père rêva si longtemps –Dans le vent du Nord qui souffle nous rejoignons ensemble l'un aidant l'autre l'antre magique où l'on fortifie, où l'on protège.

Et le soir à six heures et demie le train de Paris passe allègrement devant notre barrière pendant que je souhaite bonne nuit à mon auxiliaire. Aucune sensation de lourdeur de démarrage pénible, un incroyable légèreté s'échappe des vitres illuminées où l'on voit sur deux étages des gens qui paisiblement lisent leurs journaux. Les trois points rouges sur la locomotive noire qui pousse termine cette image dans un ciel qui s'assombrit.

Il y a longtemps que je me suis demandé pourquoi habitant près de la gare je n'avais pas encore saisi l'horaire des trains à l'audition du passage. Pouvoir me dire "tiens c'est le train de 6H¼" par exemple. Je me perdais dans ce dédale de défilement beaucoup plus fréquent que dans notre bonne banlieue de Louveciennes. Depuis près de trois mois je passe et repasse la voie pour aller au travail. Depuis quelque temps je pénètre un peu mieux ce labyrinthe. Le train me parle. Et dans mon petit cœur d'enfant je ne sais si je suis à l'heure plus pour entendre mon train démarrer ou pour commencer mon travail quand il se doit. Je sais qu'il [y] a des jours où je ne l'entends pas. Et je le regrette alors. Je sais aussi qu'il s'en faut de si peu pour manquer son train. Ce passage dure six secondes tout au plus. Dix secondes de recueillement pour moi.

Demain sera encore un jour de fête un jour où dès mon lever je célébrerai la mémoire de celle qui me mit au monde. Un jour aussi où je consacrerai mon travail à sa plus grande gloire. Un travail aussi parfait aussi vaste que possible. J'ai passé la semaine dernière un bon vendredi j'espère qu'il en a été de même pour vous et qu'il en sera ainsi demain.

La famille va bien comme je le disais nous sortons des rhumes. Dominique nous étonne par ses finesses de compréhension. Josquin est toujours aussi facile à élever bon dormeur bon buveur. Janine continue son amélioration au point de vue santé mais se prépare à quitter la maison Poliet. Après près de douze ans de service elle quitte avec joie non dissimulée cet entourage. A fin mars elle pourra se consacrer à nos petits ce qu'elle désire depuis si longtemps.

Au passage vous demandez sans doute pourquoi j'attache mon vélomoteur (acquisition récente dont je rêvais depuis 8 ans!...) à la barrière? Économie depuis le premier janvier plus de garage pour le vaillant Cabri cela ajoute 7000 frs par mois à notre budget. C'est ainsi que nos trois chevaux couchent dans la rue...

J'ai peu de nouvelles de Roland à qui j'ai envoyé mes vœux et reçu les siens.

Anny a donné signe de vie aussi hier en réponse à mes vœux. Je vais avoir un beau gilet de laine à la fin de l'hiver.

J'ai des nouvelles aussi de Clarisse et Norbert qui vont très bien, Norbert a de bonnes joues roses. Ils ont passé leur premier Noël à Vienne. Norbert l'a bien mérité d'ailleurs car il est toujours premier de sa classe et porte la médaille du mérite continuellement. Clarisse est moins studieuse –

Eh bien je vais vous souhaiter à tous trois une bonne santé et vous quitter en vous embrassant bien fort. A toi Miaw une accolade supplémentaire en pensant au soir où dans le jardin du Holtwick nous nous promîmes de nous revoir bientôt.

votre Donald.

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA