MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19541113 Donald van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

La Garenne, 13/15 november 1954

Lagarenne

le 13/11/54

Cher Miaw, Chère Théa,

Chère Odile,

Nous sommes donc depuis peu sous un toit! je profite du semblant de première installation (un bureau monté avec deux caisses d'oranges (vides bien sûr) et une planche et 8 clous) pour vous écrire dans le silence de la nuit à Lagarenne troublée seulement de temps à autre par les trains à vapeur qui passent à quelques centaines de mètres. Au dehors un chien insatisfait s'exprime comme il le peut. A l'intérieur le souffle régulier de Janine qui dort devant moi. Mon amour pour elle s'exprime ce soir en regards, en attention auditive à ce souffle qui s'exhale et qui m'émeut. C'est la vie qui est là. La vie qu'on ne fait qu'entendre avec peine parfois et qui pourtant émeut tellement profondément. Oui la vie... deux vies Janine et Manuel... du moins nous espérons l'appeler ainsi. Un immense espoir est en moi en nous en Janine. Un enfant! la Vie.

Sur le bureau où j'écris est encore l'imprimé: déclaration de présomption de grossesse. C'est récent. Le docteur que Janine vient de voir a dit deux mois. Janine n'en n'est pas incommodée, à part quelques moments de fatigue qui se comprennent avec le déménagement récent. Nous sommes tous deux très heureux de cette nouvelle le souci du logement étant écarté, Dieu soit loué, nous sommes impatients de le faire grandir dans cet appartement confortable et bien exposé où il aura du soleil toute la journée et un balcon même pour jouer.

Vous vous demandez sans doute comment nous avons trouvé ce logis. […]

Demain nous allons chercher Anny à Bourg la Reine où elle travaille dans un institut catholique comme surveillante. Elle devra bientôt le quitter d'ailleurs ça ne va pas. Elle ne doit pas être au goût de la Mère supérieure. Nous l'avons invitée à un petit goûter elle se sent si seule à Paris. J'espère pouvoir lui redonner un peu la joie du foyer en lui montrant nos nouveautés.

Je viens de recevoir une gentille lettre de Roland et Marcelle qui sont réunis et nagent dans le bonheur. Dès que nous aurons de l'essence j'espère pouvoir aller le voir! C'est bientôt son anniversaire.

J'espère aller aussi à Servance. Il est des points dont j'ai nécessité parfois de rallier. Mais celui-là je voudrais le faire avec toi aussi lors de ton prochain passage que j'espère toujours… Tu penses bien que Josquin voisine toujours dans mes pensées. Le samedi avant la Toussaint j'ai rallié Louveciennes. Janine m'a accompagné sur la tombe de Fofo. Une main avait déjà soigné la terre et déposé des fleurs. Je lui apportais un joli chrysanthème blanc violacé d'une beauté qui vous réconcilie avec le commun du geste. C'était un beau jour et il y avait beaucoup de monde. J'avais choisi quatre et demie pour y aller parce que les enfants sorte[nt] de l'école. Et j'ai vu Clarisse et Norbert. Quelques minutes. Je ne les avais pas vu depuis juin. Il est des moments où leur pensée m'arrache un grand cri intérieur. Oui c'est une envie de crier et on ne peut pas crier.

Je reprends ma lettre deux nuits après l'avoir laissée là où je n'ai pu la continuer. Entre temps j'ai vu Anny. Anny que j'aime beaucoup, Anny que j'ai cherché plusieurs fois au détour des piliers de N.D. des Victoires à leur [lees: l'heure] du salut là où je sais qu'elle y allait. Vainement hélas. Ma sœur parle maintenant de faire le trottoir. Ma sœur parle de cœnage d'une façon effrontée. Ma sœur parle de s'amuser... Elle a fait encore une expérience du couvent qui n'a pas réussi. Elle m'a dit qu'elle voulait se créer un petit chez elle et vivre librement. Combien je comprends ça. J'ai commencé à jeter des bases à réaliser. Au bout de quelques [woord ontbreekt] elle ne se sentait plus assez forte pour vivre toute seule. Enfin faisant preuve d'une belle versatilité elle m'apparait comme impossible à diriger. Un vrai mollusque sans queue ni tête. Elle arrive optimiste chez moi en nous disant on m'a promis une belle situation (les cartomanciennes!!) vous verrez dans un an j'aurai ma deux chevaux! [= voiture] J'avais plaisir à écouter cette fille plein d'ambition d'autant plus que je nourrissais pour elle depuis quelques semaines le projet de la mettre sur la voie de Janine: assistante sociale, il existe une école qui en trois ans donne le diplôme d'état. Anny a le niveau. C'est une branche très intéressante quand elle est prise avec le feu. Elle qui cherche à se dévouer, à aimer et être aimée, que peut-on trouver de mieux: situation assez indépendante, voiture et quoi encore? Puisqu'elle est dégoûtée de la vie parmi le clergé sa voie ne pourrait-elle pas se trouver dans le laïque. Oui évidemment ça lui plait elle le dit très bien. Seulement va donc remuer un mollusque. Avant que je ne lui expose ça elle me dit "tu sais, chéri, (oui hélas elle n'a pas perdu l'habitude de m'appeler comme ça!) je suis capable de vivre d'amour et d'eau fraîche". Quand je lui propose une chambre modeste il est vrai mais où elle serait chez elle, elle me dit que ce serait dur de rentrer dans une chambre sans rien de préparé et que "quand elle n'a pas l'estomac rempli tu sais ça ne va pas –"!!! Entièrement d'accord avec elle mais que l'on ne lance pas des phrases creuses en l'air. Elle est capable de se contredire d'une heure à l'autre.

Elle vient chez moi pour que je lui trouve du travail, la seule pièce qu'elle possède, obligatoire partout, le dernier certificat de travail, Mademoiselle ne le trouve pas, elle l'a égaré. Même par là on ne peut pas la saisir. Enfin elle a passé une nuit chez nous à la suite de laquelle elle a fait une matinée de démarches en automobile avec moi, à moitié ratées évidemment à cause du certificat manquant.

Enfin pour le projet d'assistante sociale ça pose évidemment le problème de trois années d'études pour lesquelles il faut au moins une demi-journée par jour (Janine travaillais à mi-temps c'est à dire une demi-journée – elle avait entre autre sa mère à soutenir donc quand on a vraiment le désir de réussir et d'arriver à quelque chose). Mais je lui faisait ressortir que la chose expliquée à Thys à Roland pouvait susciter un intérêt qui ne se bornerait pas à des encouragements sans doute et que l'aide qu'on pourrait peut-être lui donner elle pourrait nous le rendre en bien plus grande mesure si elle le voulait plus tard. D'autant plus que [la] voie à suivre est tracée de si claire façon par Janine je comprends pas que l'on puisse encore manquer de souffle. Surtout que sans connaître ma proposition elle nous vantait son désir de faire du bien d'être aimer [lees: aimée] d'avoir une voiture! Autant en emporte le vent!!!

Enfin nous nous sommes quittés en très bons termes. Je la plains beaucoup plus que je ne la blâme. Elle m'a dit qu'elle n'avait pas la foi en ce moment et le marasme où elle se débat est bien pitoyable. Le pire c'est qu'on ne peut rien pour elle. Elle est victime d'elle-même. C'est évidemment en elle qu'est la solution. Le pire c'est qu'elle croit être la victime des autres, et que le monde doit se réformer pour lui apporter une solution! Elle doit donc quitter Bourg la Reine bientôt et je l'aiderai dans son déménagement. Pour son travail elle s'oriente vers les bonnes d'enfants.

L'automne a été bien beau. J'aimerais à revoir avec toi Miaw ces haies de peupliers dorés telles qu'on les voit autour de Chateaubleau. Je te ferais goûter ces bonnes balades en bagnole dans la campagne. On voit moins en détail il est vrai mais on voit plus. Quand on connait le détail qu'on l'aime dans le souvenir. Evidemment quand on a jamais vu l'écorce du bouleau de près qu'on a jamais eu envie de la caresser on ne peut goûter de loin. Mais tous ces arbres que je vois au loin dans le soleil d'automne je meurs d'envie de les caresser, de sentir leurs feuilles tombées. Mais toutes ces sensations, ces amours passés, c'est le souvenir de nos balades qui me vaut de les connaître et de me les rappeler d'aussi loin que [doive?] les regarder.

J'espère avoir bientôt de vos nouvelles pour savoir seulement que vous allez tous bien.

Je rêve de belles années où vous pourrez venir goûter chez nous de "l'automne en pleins champs".

J'embrasse tout le monde et en particulier Odile.

Donald.

[in het handschrift van Janine Van der Meulen-Moureau:]

Je vois que Donald vous donne les dernières nouvelles! J'y ajoute mon affectueuse souvenir, en vous embrassant tout les trois.

Janine.