Matthijs Vermeulen
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Editions et Publications de Lutèce (Renée Lacoste)
Amsterdam, 24 juli 1954
24 juillet
Chère Madame,
Je m’empresse de vous exprimer ma gratitude pour l’avenant que vous avez ajouté à votre contrat. J'ai la terreur des advocasseries et des chicanes. Mais on me dit ici, qu'on ne doit pas penser seulement au présent mais aussi au futur, que demain l'un des contracteurs peut disparaître et que l'autre alors se trouve devant une interprétation qui peut être d'autant plus arbitraire qu’il y a dans le contrat des mots peu ou trop précis. C'est pourquoi je vous serai encore plus reconnaissant si vous voulez avoir la bonté d'ajouter à votre avenant la modification qui concerne le prix de la réédition. Quant à l'article 11 je crois bien que je l'ai exactement compris mais la rédaction m'en a semblé grammaticalement et juridiquement très douteuse et la somme des dommages intérêts me paraît dérisoire. En tout cas je voudrais voir spécifié dans le contrat que pour chaque infraction la même somme sera exigible. Vos autres remarques, je les accepte volontiers, quoique les gens que j'ai consultés ici m'affirment que l'article concernant la résiliation contient pas mal de traquenards!
Il est vrai qu'une conversation nous aurait menés plus vite au but, car certainement vous avez le don de la persuasion. Et j'aurais bien fait un saut à Paris, si j'avais eu le temps. Mais le Festival de Hollande (terminé maintenant) m'en a empêché. Au surplus: il m'est impossible d'aller aussi vite que je voudrais.
En voici la raison: Dès que j'ai connu le chiffre global des frais que j'aurai à couvrir, et dès que j'avais votre contrat du 22 juin qui était indispensable comme preuve à l'appui, j'ai fait une demande d'exportation de devises qui est encore obligatoire ici pour tout transfert de capitaux à l'étranger. Elle ne m'a pas été refusée. Mais quand est-ce que je l'aurai? Cela dépend des bureaux. Je ferai tout pour les presser de m'accorder leur autorisation avec une célérité qui n’est pas d'usage. Cependant il me semble peu probable que je l'aie obtenue avant le 28 juillet, date que vous indiquez pour votre départ en vacances.
Conséquence fâcheuse: Je ne pourrais pas signer le contrat sans enfreindre une des clauses principales de notre traité, celle du payement.
Que faire? Evidemment il est dommage de perdre un grand mois pour un retard qui sera peut-être d'une semaine.
Si vous avez confiance en moi vous pouvez ordonner dès maintenant la fabrication du livre, sans attendre ma signature. Je me considérerai comme engagé.
Dans ce cas veuillez avoir la bonté d'intercaler à la page 66 du manuscrit, entre le dernier alinéa et la ligne précédente le chiffre 38, numéro d’un chapitre qui a été omis par le copiste. L’oubli m’avait échappé à la révision. Si le chiffre 38 n’est pas rétabli avant le départ du livre à l’imprimerie la mise en page devra être bousculée plus tard d’une façon qui pourra coûter beaucoup de temps et d’argent.
Si par malchance l'autorisation de transfert traîne en longueur, ou si par quelque disposition légale (dont l'application peut dépendre de l'humeur d'un fonctionnaire) la permission me serait refusée en dernier instant (ainsi j'aurai envisagé toutes les éventualités) je ne peux que vous prier d'avoir assez de confiance dans le livre lui-même, pour assumer un risque qui sera provisoire puisque je finirai sûrement par trouver une solution qui rendra la clause du payement exécutable.
Ce que j'aurais aimé le mieux en commençant nos relations c'est de me fier à vous en toute bonne foi. Telle est ma nature, et elle me commandera toujours une conduite honnête envers autrui. Mais je trouve très normal que dans les circonstances données vous voudrez ou vous devrez vous entourer de certitudes qui, je l'admets, sont plus sûres que des promesses en l'air.
Les renseignements que vous pourrez recueillir sur ma personne vous diront à peu près ceci: compositeur de musique d'avant-garde; écrivain connu; collaborateur d'un hebdomadaire important; critique intransigeant dont depuis plus de trente ans la réputation n'a pas changé; ses trois fils, naturalisés français, ont servi comme engagés volontaires dans l'armée française; un d'eux, caporal à la 2e D.B. est tombé à l'ennemi et, avec citation, enterré à Servance, Haute-Saône; sa première femme est décédée des suites de la guerre; sa seconde femme, fille d'un compositeur célèbre aux Pays-Bas, possède quelque fortune. Elle l'a épousé à Louveciennes en communauté de bien.
Voilà: A mon tour, Chère Madame, et en vous présentant mes hommages respectueux, j'ai le plaisir de vous exprimer mon espoir en une collaboration fructueuse, utile, sans nuages, et de longue durée,
M.V.
Ci-joint l'ensemble des papiers que je serai content de voir revenir pour la dernière fois!
concept
Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA
