MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19510602 Matthijs Vermeulen aan Donald Van der Meulen

Matthijs Vermeulen

aan

Donald Van der Meulen

Amsterdam, 2 juni 1951

Amsterdam

Heerengracht 330

le 2 juin 1951

Mon bien cher Donald, avec

sa Trudi, sa Clarisse et son Norbert,

Pas besoin de te dire que des milliers de fois j'ai pensé à toi, à vous quatre, pendant toutes ces semaines où nous ne nous avons envoyé aucune lettre, aucun mot, sauf ta carte d'il y a déjà une quinzaine de jours. Et voilà ton anniversaire. Nous avons l'énorme regret, Thea peut-être encore plus que moi, – de ne pas pouvoir t'envoyer le paquet qui pour tes grandes fêtes était devenu traditionnel. Mais depuis dix mois nos finances sont progressivement, et enfin complètement dérangés, saccagés par les impôts draconiens qu'ils exigent, eux, les Américains pour leurs abominables armements, et pour leur guerre sacrilège qu'ils veulent et qu'ils préparent. Par surcroît il y a les inévitables augmentations du coût de la vie. C'est pour te faire savoir que nous avons du mal à joindre les bouts, car bien entendu, nous deux, étant du genre artiste, nous n'avons pas vu nos salaires, je ne dis pas améliorés, mais simplement adaptés. Et avec cela je fais se taire encore les protestations élémentaires qui s'élèvent dans ma conscience contre de tels abus, contre une si flagrante insanité, dont trop peu d'hommes hélas ont l'air de s'apercevoir. Car pense un instant: ils pourraient s'épargner des milliards et des milliards pour éviter leur perdition. Et avec ces milliards épargnés ils pourront se construire un monde heureux. Contredis-moi si tu trouves moyen! Est-ce que pire folie est imaginable? J'espère que le 17 juin tu voteras pour un communiste. Oui! Car tout le reste n'est pas seulement honte et mensonge. Mais même pour les Américains égoïstement obtus, bouchés à l'émeri, cela payera mieux que la destruction de tout ce qui existe, de tout ce que nous aimons. Écoute moi! Les Russes ne feront jamais ce pas vers le néant. Jamais ils n'ouvriront cet abîme. Crois-moi! Ils sont trop réalistes pour cela. Les autres ne sont que des chiffes, des cadavres vivants, qui même au prix de leur ruine voudraient continuer leur sale existence d'êtres blafards et arriérés.

Tu vois que je semble presque arrivé au point de devenir enragé. Il y a de quoi. Mais n'en conclus pas que ça va mal chez nous. Non. Devant ce vertige prochain nous maintenons une certaine bonne humeur. Nous voulons que cela dure. La petite Odile me procure tous les jours une joie qui s'ajoute au bonheur, à l'équilibre que ma Thea me donne. Mais le croiras-tu? Odile craint maintenant les bruits d'un avion, malgré tous nos efforts pour lui suggérer que c'est tout ce qu'il y a de plus ordinaire, de plus tranquille. Eh bien! C'est la seule chose jusqu'ici qu'elle ne veut pas accepter. Quand un avion passe dans ce ciel bleu elle cherche instinctivement un refuge chez sa mère. A son âge, deux ans quatre mois, elle en sait autant que moi. Et pourtant elle a commencé avec confiance. Il y aurait à écrire un roman poignant là-dessus.

Mais elle va bien, et nous aussi. Toujours riante, toujours gaie, toujours gentille et tendre, ouverte à l'amour, au bon conseil, – sauf quand il passe dans l'air ce hurlement d'imbéciles. Nous écrivons toujours nos articles pour nos canards. Je ne peux jamais les lire sans dégoût, sans colère, les affreux canards. Le 29 mai a été joué à Amsterdam ma quatrième symphonie. Elle a eu du succès. Elle n'était pas radiodiffusée, autrement je t'aurais averti. L'audition était satisfaisante. Elle m'a rappelé la musique. Si les circonstances étaient autres je pourrais en faire encore. Mais j'avoue que c'est le moindre de mes soucis.

Voilà mon cher Donald. Tu sais tout maintenant de ce qui est le plus important. Je voudrais bien t'embrasser mieux qu'en paroles, ce jour de ta naissance. Mais nous ne voyons pas encore commencer nos vacances. Nous avons encore devant nous un mois entier de "festival hollandais", aussi insipide que le reste. Jusqu'à la fin de juillet! Après on verra. Nous n'avons pas de plans. Donc, toutes nos félicitations. Odile te connait bien. Elle sait ton nom, et qu'on va là-bas par "le grand train". Attendons; cela arrivera peut-être.

Nous t'embrassons tous avec amour, particulièrement

ton

Matthys

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA