MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19491013 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

Parijs, 13 oktober 1949

Paris le 13-10-49

Cher Miaw, chère Théa, chère Odile,

Merci de ta lettre nous avertissant pour l'émission probable du 12 – Malheureusement, est-ce ma faute est-ce un changement de programme, nous n'avons pas le bonheur d'entendre ta cinquième. Mon Dieu que mon cœur a battu mercredi 12 entre 8¼ et 10H! Ne sachant pas précisément la longueur (il y a 3 Hilversum) d'ondes je me décidai à l'heure précise pour le premier de la bande de petites ondes, qui avait un programme de musique classique, puis moderne enregistrée – Smetana, Liszt, Debussy etc. Voyant la courbe de l'émission je pensais qu'il finirait peut-être avec toi [–] non ce ne fut pas cela. Voilà maintenant que je me mords les doigts en pensant qu'il fallait peut-être consulter les grandes ondes chose que dans mon émoi je n'ai pas pensé à faire un instant [-] tellement j'ai l'habitude de recevoir les concerts hollandais sur la petite bande – Enfin c'est passé; j'ai entretemps souvent consulté d'autre postes et quelquefois j'ai cru entrer dans ton harmonie. Précisément ce soir-là il y avait tellement de modernes! Dans l'infini des sons inconnus, reconnaître, vouloir reconnaître, ceux avec lesquels on aurait des affinités. Te représentes-tu ce brouillard de l'esprit à travers lequel on croit, on voit venir une lumière que l'on admire, qu'on aime déjà avec réserve, mais qui s'éteint subitement. Vois-tu la tension de l'esprit devant ce haut-parleur? les hauts, les bas? Eh bien si tu vois tout cela, tu vois aussi le nuage par analogie, dans lequel mon esprit s'était perdu au début de l'année dernière et à travers lequel il vagabondait poursuivant tantôt des beautés idéales tantôt des futilités, voyant apparaître ces lumières créant une période d'extase [–] les voyant s'éteindre en créant un marasme torturant. Jusqu'au jour où il en sortit comme d'un affreux cauchemar. Vu de loin maintenant ce cauchemar ressemblait assez à ces "deux" cauchemars que j'ai eus à la Bicoque, en 35 je crois, et dont toi et Fofo m'avez tiré en me prenant sur vos genoux. Te rappelles-tu Thys?

La durée en était moins longue, Dieu merci, mais la torture intérieure était la même: je me la rappelle que trop bien. Si je parle de cela aujourd'hui, c'est vraiment parce que l'heure vécue hier soir ressemblait typiquement à ces heures malheureuses, car depuis ce temps je n'aime pas parler du passé, celui qui a laissé des traces profondes. Tu a dû t'en apercevoir, Thys. Pourtant il est toujours en moi, mais je m'en écarte car il est beaucoup sur le chemin du nuage. Vois-tu ce que je veux dire? Je ne fais que voir le présent et l'avenir. C'est ma meilleure santé. Il y a une question de volonté pour laquelle j'ai toujours retenu tes enseignements. Cette nuit quelques heures après l'audition manquée je me suis réveillé. Mon esprit vacillait, il manquait une base, c'est difficile à expliquer, ce n'est qu'une sensation étrange. Epanchant mon cœur à Trudi avec la volonté de retrouver cette base, j'y arrivai peu à peu, assez rapidement même. J'en concluais qu'il fallait éviter ces tensions, croyant que cela venait de là. Trudi était là... Ma femme qui doit supporter ces confidences. Cela lui demande beaucoup de forces. Elle n'en a pas tellement.

Thys, toi tu en as, si un jour je devais encore en avoir besoin, tu pourrais mieux que n'importe quel psychiatre me tirer d'un nuage. J'ai confiance en l'effet de ta présence.

Mettre un parachute ne veut pas dire qu'on en aura besoin – n'est-ce pas? Miaw, il est tout de même bon de le sentir près de soi... Pour l'instant tout va bien. Trudi est dans l'attente toujours – à la fin de la semaine nous agirons.

Clarisse va mieux. Nous avons reçu avec beaucoup de joie naturellement le premier paquet avec tant de bonnes choses. (Trudi s'est délecté avec sa confiture de fraises...) Clarisse pousse des gloussements de contentement avec un chocolat au rhum! Merci mille fois. L'annonce d'un prochain mandat nous a éclairé les fronts aussi, ça nous fera du bien pour passer l'hiver. J'ai communiqué à bien des gens déjà ma volonté de continuer le travail – pour l'instant rien comme résultat. Certainement je vais vers une amélioration je sens ça...

Alors avec de bons baisers de nous trois je vous quitte en pensant bien à vous

Donald.