MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19490622 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

Parijs, 22 juni 1949

Paris le 22-6-49

Cher Miaw, chère Théa

chère Odile,

Qu'il fut beau ce premier soir d'été à Louveciennes! Je voulais t'écrire hier déjà pour pouvoir mettre sur ma lettre la date du 1er jour d'été, mais je n'ai pas eu le temps et je ne le regrette pas car maintenant je peux te raconter tout frais le souvenir de cette belle soirée – J'étais rentré particulièrement tôt à la maison si bien que mon logis était encore bien lumineux le temps étant clair le ciel limpide. Les plus belles heures de la journée dans notre logis les voilà: c'est l'après-midi et le soir. La lumière est belle le soleil entre chez nous – Donc à 7½ quand j'arrive le soir le soleil est déjà bien bas à l'horizon – Après m'être rafraîchi le corps (qui en a besoin après sa course Paris-Louveciennes toujours en vélo) j'ai fait quelques corvées et me suis mis à table avec Trudi. Clarisse avait mangé déjà et était au lit en train de s'ébattre. Notre table à manger s'appuie à la fenêtre de la salle de sorte que étant assis au milieu je fais face au grand jardin des sœurs à l'arbre immense qui s'y dresse et à la ligne d'horizon immuable et grandiose de nos Arcades qui émergent dans le feuillage – Le niveau de ma vue est un peu inférieur à celui de cette ligne superbe – Peut-on avoir vue plus belle? Je trouve ça très beau. Et hier soir j'étais particulièrement dans l'extase. Le soleil rougeoyait l'horizon et à travers les arbres on distinguait nettement les arches dorées, régulières qui changeaient peu à peu leur couleur tournant au rouge sombre. L'heure s'avançait – le paysage changeait de teinte aussi – sa beauté restait aussi grande son calme aussi. Il était doux de poser son regard au loin sur un oiseau volant bien haut. Cela arrêtait la vie. Un souvenir obscur d'un soir d'été du jeune temps revenait. Ce regard posé au loin dans l'éther, apportant ce sentiment aérien de liberté, où l'avais-je déjà lancé? A Bas-Prunay dans l'herbe de la pelouse le front au ciel? à Voisin dans le jardin? à la Bicoque? Des réminiscences venaient mais s'évanouissaient aussitôt...

Pendant que mon regard s'amusait dans ce vaste horizon mes oreilles recueillaient les derniers échos du Festival de Straβbourg – La 4e Symphonie de Schumann résonnait dans la pénombre. Sans m'emporter complètement son romantisme me plaisait et contribuait à faire de ma soirée une belle soirée. Clarisse dormait déjà et Trudi était dans la cuisine [–] j'étais seul à jouir de ces beautés et comme autrefois près de ton poste je me délectais d'une bonne cigarette.

Plus tard dans la pénombre Trudi entra avec le sucrier et les tasses à café. Une tasse roula à terre et se brisa dans un petit fracas sur le plancher... Nous prîmes ensuite le café. Le crépuscule était profond la nuit froide venait –

Samedi dernier j'ai eu une surprise une joie aussi: Roland est venu me voir au garage. Quand j'ai reconnu son imperméable j'ai volé à sa rencontre. Il y a longtemps qu'un sentiment si spontané m'avait animé. J'étais si heureux de retrouver mon frère. Nous avons passé quelques heures ensemble mais il avait beaucoup d'affaires à régler et ne pût aller à Louveciennes. Chez lui tout va bien. Marie-France pousse et est géante déjà. Il est très content de ses affaires et pense beaucoup à ses vacances...

Trudi va bien ses jambes enflent un peu et lui font mal c'est bien tout. Clarisse devient un amour de fille qui a beaucoup à dire sans savoir encore parler. Et moi ça va. J'attends de vos nouvelles. Je vous embrasse bien tous les trois et pense bien à vous –

Miaw je t'embrasse encore bien fort

Donald.

De bons baisers de Trudi –