MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19461027 Ernst Levy aan Matthijs Vermeulen

Ernst Levy

aan

Matthijs Vermeulen

Bennington, Vermont (USA), 27 oktober 1946

Bennington College

Bennington, Vt.

le 27 octobre 46

Mon Vieux,

Ne m'en veuille pas de t'écrire à la machine, et surtout ne le prends pas pour un signe d'"américanisation" –

Je t'avais écrit, il y a bien des mois, à Louveciennes. Je me demande si tu as jamais reçu cette lettre. Sinon, je le regretterais surtout parce qu'elle contenait une missive de Josquin que je t'avais prié de bien vouloir me retourner, car je veux la conserver pieusement.

Or, aujourd'hui même, je reçois un mot de Mr. Hijman en réponse à une lettre que je lui avais envoyée il y a quelques jours. Il m'écrit:

"Vous trouverez notre ami Vermeulen Heerengracht 330, Amsterdam. Repatrié depuis juillet, il s'est remarié avec Mlle. Thea Diepenbrock, fille du compositeur hollandais".

Mon Vieux, je ne peux pas te dire combien je suis heureux pour toi que tu aies trouvé l'élan nécessaire pour recommencer la vie. Je te serre la patte bien fort, et de tout mon cœur. Et j'avoue que je t'envie. Comme tu sais (je crois te l'avoir dit dans ma lettre), Linet m'a lâché au moment même où nous devions enfin être réunis... Et cet été il m'est arrivé une nouvelle et douloureuse aventure – je me suis fiancé avec une jeune fille de mes élèves, ici. Elle est rentré en France – nous devions nous marier en hiver – et voilà qu'à son tour, elle me lâche... tu vois, je n'ai pas de chance – mais malgré toutes ces secousses, je suis encore debout, quoiqu'un peu chancelant. Je ne désespère pas, moi non plus, de recommencer la vie – nous ne sommes pas faits pour rester longtemps dans la négation.

Le premier but de ces lignes était de te féliciter. Le second, le voici: Je viens en Europe pour quelques mois. Je dois m'embarquer le 16 décembre ou aux environs du 16 décembre. J'irai d'abord à Paris, puis, en Suisse. Je veux absolument te voir, à moins que tu renies ton vieux frère d'armes! Je n'ai rien à faire en Hollande (hélas!), mais je viendrai te voir, si toutefois les Hollandais m'accordent un visa. Je ferai cela sans doute avant de m'embarquer pour l'Amérique, en mars. C'est à dire que je prendrai l'avion à Bâle, et en quelques heures je serai chez toi. Puis, de là, je retournerai à Paris, et au Hâvre. Qu'en dis-tu?

Bien des choses se sont passées depuis notre dernière entrevue, qui est restée toute vivante dans mon cœur – et je ne parle pas de la guerre, mais seulement de notre destinée personelle... Mais il y a une chose qui n'a pas changé du tout: c'est mon affection pour toi, et mon admiration pour toi. Ecris-moi tout de suite, je t'en prie. Dis-moi ce que tu fais, comment tu vis, ce que font tes enfants.

A toi de cœur – et mes compliments à ta femme – je me réjouis de faire sa connaissance.

Bonne poignée de mains

Ernst

Donne-moi ton numéro de téléphone, si tu as le téléphone!

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA