MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19450203 Matthijs Vermeulen aan Donald Van der Meulen

Matthijs Vermeulen

aan

Donald Van der Meulen

Louveciennes, 3 februari 1945

Louveciennes (S et O)

2 Rue de l'Etang

le 3 février 1945

Mon très cher Donald,

Rien à signaler sur notre front déridé. Sauf que, le matin, on guette la boîte à lettres et le bruit des pas du facteur. Pour aujourd'hui encore c'est [pas] bézef. Vraiment, tu n'es pas polygraphe, ou, ce qu'on (encore une fois ce....!) appelle dans le journalisme un pisseur de copie!!

Pour ton expert en écriture il se trompe quand il déduit de mon graphisme que je suis avare. Je proteste avec force, et sans indignation. Moi aussi j'ai fait un peu cet art. Donne-lui une petite leçon. Mon écriture trahit ceci: Un type qui se forge (je fus forgeron) avec toute la puissance et l'attention de sa volonté, avec toute la réflexion possible, l'âme, le caractère, qu'il s'est sciemment choisi, auquel il tend continuellement, et qu'il n'atteint pas toujours, loin de là. Je voudrais me maîtriser moi-même et tout le reste des choses, pour les dominer et les gouverner selon la raison, en gardant le maximum de naturel et le maximum de feu.

Je regarde souvent moi-même mon écriture et j'y découvre bien de mes imperfections. Mais pour y parer il faudrait toujours du beau papier, une bonne plume, une bonne encre, pas trop de froid, pas de mains blessées, pas de muscles tendus par du travail manuel, un bel équilibre intérieur, et pas de hâte! Et la volonté, l'attention toujours en éveil. Enfin je fais, j'ai fait, ce que je peux, ce que j'ai pu.

Voilà donc la clef de mon mystère, pour ton usufruit!

Cet après-midi je vais encore une demi-heure chez Aline. Je veux faire un petit cadeau à sa mère qui m'a procuré de la vraie glycérine d'avant-guerre. Ce que j'ai souffert des mains les trois dernières semaines, c'est indescriptible, et surtout humiliant pour moi qui veux dominer toute chose et qui y réussis encore assez souvent. Mais cette fois-ci! C'était comme si j'avais tout le long de la journée du charbon ardent sur mes pattes. Pourtant je n'ai pas trop mal écrit, tu ne trouves pas? (Mon écriture trahit aussi de l'orgueil, de la simplicité, la passion de voir clair.) Maintenant ça va déjà beaucoup mieux.

Quant à ce petit cadeau cela consistera en quelques barres de fruit et quelques gâteaux. Eh bien (cela pour mon avarice!) j'ai dû arracher ça avec toute ma diplomatie actuelle à notre chère petite Anny. A la fin, après beaucoup de pourparlers et de palabres (mon écriture trahit aussi une patience à toute épreuve et, j'avoue, des orages dominés tant bien que mal) elle a bien voulu consentir de bon gré à ce terrible sacrifice. Surtout n'en parle pas. La question est liquidée et appartient au passé.

Quand je regarde en arrière, comme je voudrais avoir été toujours aussi diplomatique que maintenant et comme je regrette de n'avoir pu réaliser que partiellement tout ce qui se trouve en puissance dans mon écriture! Comme je voudrais pouvoir me replacer vingt ans en arrière, comme je voudrais recommencer, et comme j'agirais autrement, mieux, plus conforme à tel que je me désire être. C'est la mort de Fofo qui m'a donné cette révélation. Trop tard? Non pas tout à fait. Car un jour je recommencerai, tel que je désire, et pour ce recommencement je veux être prêt.

Anny vient m'appeler pour manger. Nous avons deux (petits) biftecks et du riz. Comme dans l'ancien temps.

Ecris-moi, nom d'un chien! Quito est revenu ce matin avec une blessure à la patte droite arrière. C'est un rêveur. Pour la Fifi, vraiment elle est intelligente, musicienne, (c'est curieux comme elle s'intéresse au piano!) et très cocasse; remarquable pour une chatte.

Je t'embrasse bien fort, de tout mon cœur de père,

Thys

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA