MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19391211 Anny Vermeulen-van Hengst aan Josquin Van der Meulen

Anny Vermeulen-van Hengst

aan

Josquin Van der Meulen

Louveciennes, 11 december 1939

Lundi-matin. 9 h.30 le 11.12.39.

Mon chéri, ce matin ta lettre du 9. Oui, Doudie t'avait écrit l'adresse en hâte, il était déjà 5 h. passées alors je ne pouvais plus la corriger. Tu sais l'adresse de Roland maintenant? Soldat V.d.M. 2o R.M.V.E. P.E.G. (Peloton Elèves Gradés). C'est plus court comme ça! Il a été photographié en groupe par un des camarades et nous en aurons une épreuve. Il n'a pas été à Perpignan hier dimanche comme c'était son intention. La santé est excellente et sa grippe passée. Il supporte mieux les marches. Tu te rappelles cela n'a jamais été son fort, toi au contraire tu n'étais jamais fatigué. Espérons le bon résultat de ce mois de repos, mon chéri, et que tu puisses suivre le peloton! Bien sûr, nous aurions aimé te voir; le peloton, si tu es autorisé à le suivre, prime. Une permission aurait bousculé tes projets d'avenir. Enfin, attendons le jugement du conseil. As-tu commencé l'huile de foie de morue?! Anny dit: bien sûr que non. Nous ne pouvons quand-même pas t'envoyer une bouteille!! Tu aimes ce chocolat Damoy? Il est moins agréable que Rialta, mais plus nourrissant et beaucoup moins cher, pour le moment. Pour le papier ce sont les envois de bois de Finlande qui manqueront et feront que le papier deviendra rare et cher. Mais il se peut que cela est un peu exagéré. Il y a peut-être d'autres pays qui ont assez de bois pour combler les trous. Enfin, cette question du papier fut déjà de rigueur aux Indes en Sept. C'est pourquoi nous ne recevrons plus le Soerabaia pour qu'ils économisent là-bas leur papier autant que possible. En Hollande aussi la même chose. Ici on avait réduit les journaux à cause de la censure ce qui tombera bien avec la manque "future" de papier. –

Le prêtre officier au front était-il à l'hospice autrefois ou comment? Tu ne le dis pas et tu n'avais pas encore parlé de lui. Comme cela tu auras un parrain et une marraine assez exceptionnels répondant d'ailleurs à ton cas. Si tu veux tu peux raconter à ton aumônier que du côté de mon père tous furent catholiques, même lui, quoique ne plus pratiquant depuis très longtemps. (Quand je me suis mariée avec Thys celui-ci ne l'était non plus depuis environ 1914). Ma mère était protestante ce qui ne l'avait pas empêchée de faire baptiser ma sœur et moi d'accord avec mon père par un prêtre qui fut le premier décoré de la "Militaire Willems-orde" comme soldat-prêtre aux Indes (la guerre en Atjeh), il s'appelait Verbraak et fut très aimé, très connu, très vénéré par tous. – Mais tu sais que je ne suis pas catholique, ce qui ne doit pas t'affliger, mon chéri: chacun trouve le bonheur intérieur selon la lumière que Dieu met lui-même dans son cœur. Et tu peux en être sûr que jamais mais jamais depuis le premier instant que je me suis rendue compte de Dieu, Il ne m'ait quitté même pas pour un instant. Et cela depuis très, très longtemps. – Et dans le ménage de mes parents (non-pratiquants tous les deux) les vertus chrétiennes étaient pratiquées plus que dans maints ménages catholiques, j'en ai très souvent eu les preuves. Je sais que tout cela ne compte pas aux yeux des catholiques mais cela compte pour moi. –

Nous avons lu dans le Figaro le message de Colette aux étudiants(tes) d'Amérique, dans lequel e.a. elle dit combien la langue française est difficile. "Tu parles!" Je me demande souvent, moi qui aime tellement vous écrire, ce que je vous aurai[s] écrit et "comment" si j'avais été Française de naissance, d'éducation et d'instruction. Il ne faut pas oublier que je n'ai fréquenté à ainsi dire personne pendant les 18 ans donc pas parlé (sauf avec les quelques femmes de ménage!!!) Thys au contraire: il a passé autrefois en Belgique avec les Jésuites, parlant le Français. En venant en France je savais mieux l'Anglais et l'Allemand, mais ayant quand-même appris assez de la langue française pour pouvoir lire ce que je voulais. Maintenant je parle très mal les deux autres langues n'ayant plus pratiqué et même plus pensé dans ces langues, mais je les lis très couramment. N'empêche que pour la langue française j'aurais bien voulu m'exprimer à mon aise. – J'espère toujours qu'un jour un de ces dixièmes de billets de la loterie nous apportera assez pour libérer d'abord Thys et puis réaliser pour moi quelques aspirations secrètes dans le domaine de l'art. Enfin, tu diras: c'est bien tard. Eh! oui, je le sais. Mais qu'est-ce ça fait? En l'espérant ça viendra bien. C'est bien enfantin, aussi je te l'écris pour que tu saches que mon cœur n'est pas desséché, loin de là. – Anny a passé encore quelques heures hier chez Mme de Br. Elle aime beaucoup ses enfants, moi d'ailleurs aussi, quoique j'y vais moins qu'Anny. Quand j'ai un livre intéressant je me passe des gens. Quand j'étais petite c'était déjà comme ça. D'ailleurs j'étais si souvent souffrante d'asthme et les seules choses qui m'aidaient s'étaient les livres et aussi les seules que je supportais avec moi. Je fermais même ma porte à ma pauvre Maman, qui restait sur le paillasson, angoissée de sa petite "Nytje" (ça vient de Anny). C'était je crois bien la seule chose cruelle que je lui aie faite. – Même cette habitude m'est restée: de lire surtout quand j'ai quelque chose. C'est peut-être au fond une sorte d'évasion, en tous cas ça vaut mieux que de penser à son mal. – Ce livre de Mary Webb est très curieux. Ça a eu le prix Fémina – Vie Heureuse en 1925,1 ce qui ne veut rien dire après-tout. – Mais cette fois-ci je n'ai rien, tu sais, je le lis comme agrément!! – Alors c'est devenu une longue lettre, écrite plutôt pour mon propre plaisir que le tien! Nous t'embrassons bien fort tous. Porte-toi bien.

Fofo.

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA

  1. In 1925 ontving Mary Webb de Prix Femina, ingesteld door de redactie van het blad Vie heureuse, voor haar vijfde novelle Precious Bane (1924).