MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19391203 Anny Vermeulen-van Hengst aan Josquin Van der Meulen

Anny Vermeulen-van Hengst

aan

Josquin Van der Meulen

Louveciennes, 3 december 1939

Dimanche-après-midi. 2 h. le 3.12.39.

Mon petit chéri, que tu dois être bien content maintenant! Hier toute la journée j'ai voulu tellement savoir le résultat. J'ai ouvert tes volets et fenêtres pour bien faire entrer l'air ensoleillé mais quand-même je me disais: il faut mieux qu'il ne soit pas réformé ou qu'il vienne avec un mois de convalescence pour se retaper. Eh! voilà que tu as toutes les deux choses. Dans ce mois tu feras tout ce qui est nécessaire et parce que tu as choisi la religion catholique pour t'aider, mon chéri, il faut en tirer toutes les conséquences et ne pas laisser faiblir ta confiance. Pour cela aussi il est bien que tu passes ce mois à l'hôpital et non pas ici. Qui sera ton parrain et qui ta marraine? – A ton père tu aurais pu quand-même dire un petit mot là-dessus, de ton projet de baptême; même si Anny soit la seule catholique pratiquante, ta décision touche ton intérieur de si près, ton âme, ton cœur, que pour moi je trouve que tu n'aurais pas dû priver ton compagnon de cet aveu. Il ne m'a rien dit là-dessus, chéri, c'est mon sentiment à moi que je te communique. Je n'aurais pas eu, moi ta mère, un sentiment de contrariété en trouvant ce mot à ton père: tu sais comme il est mon plus grand bonheur quand je vois Thys t'aimer et toi aimer Thys. Je ne me sens jamais privée si vous l'aimiez plus que moi, au contraire! Cela a toujours été comme cela. Eh! bien je me serais sentie toute heureuse si ce matin tu avais dit d'abord à Thys que tu penses avoir trouvé le bonheur que tu juges nécessaire pour pouvoir vivre. – Et puis, sois aussi très certain que je te souhaite de mon cœur de mère tout le bonheur possible intérieurement. Parce que cela, mon petit chéri, ce bonheur intérieur, je l'ai toujours eu, et je l'aurai toujours. Cela te semble drôle parce que je ne suis pas catholique? Eh! bien, c'est pourtant la vérité. Et c'est pour cela que, une fois que vous ayez choisi, je vous souhaite d'atteindre à cela. Mais j'espère bien que tu ne retomberas pas au niveau des petits gens catholiques, tu comprends ce que je veux dire, qui ne peuvent avoir la vision plus élevée et plus spirituelle des catholiques cultivés. – Et après tout, la seule chose qui compte, c'est que tu sois heureux, à la manière qui te va le mieux, même si tu ne pourrais pas t'élever aux plus hautes hauteurs. – Tu ne nous avais pas dit où se tenait la commission de réforme, à Tarbes même? Quel bonheur aussi d'avoir trouvé un capitaine compréhensif. C'est avec lui que tu essaieras de travailler. Tu trouveras peut-être occasion de rester dans l'artillerie, enfin, comme tu dis c'est l'avenir, bien que ce soit un avenir assez proche. Peux-tu en sortir de temps en temps, de cette salle? Es-tu peut-être dans une autre salle maintenant? Enfin, j'espère bien que tu nous écriras un peu plus là-dessus. Thys n'aime pas le mot "optimiste" il paraît, moi je l'aime parce que cela ne doit pas inclure forcément que l'on soit tête de linotte! Pour être optimiste dans le vrai et beau sens du mot, eh! bien, il faut ce bonheur intérieur, inébranlable. L'extérieur peut être ébranlé souvent mais aussitôt le regard tourné dedans, mon vieux, il n'y a rien du dehors qui peut t'enlever le beau secret. Et que l'on soit catholique ou autre chose, c'est cela qui fait découvrir le vrai sens de tout. –

Thys était nerveux vendredi-matin, je lui disais que c'était peut-être parce que tu passais le conseil. Il ne te souhaitait pas "réformé" mais il sait aussi que les chances de la guerre c'est un sur cinq qui s'en tirera. Tu trouveras encore drôle: mes pensées ont été tout le temps: qu'il ne soit pas réformé, pas un invalide, à cet âge-là, même si "réformé" je le garderais. Sans m'y contraindre je me sentais à ta place. J'ai même fait plus que je te dirai et que tu trouveras peut-être "catholique"?? Je sais devoir vivre très "vieux", je t'ai donné le surplus, je suis ta mère, et c'est seulement la mère qui a porté l'enfant qui peut cela, non pas parce que le père n'aurait pas la même idée oh! non, il l'aurait aussi, mais ce n'est que la mère qui puisse cela en vertu de son "lien". Pourquoi à toi et les autres donc? Ils n'en auront pas besoin; je les aime autant que toi mais c'est toi le premier "en péril". Je peux venir en aide d'une autre manière à eux. – La plupart des gens ne savent pas ou ne savent plus le pouvoir et les possibilités de la mère, la mère qui a vraiment porté et enfanté ses enfants dans la joie, la confiance, la simplicité. Je l'ai fait, moi, je ne m'en vante pas. Tout le "chichi" dont on lit et que l'on entend, cela n'a pas existé pour moi jamais. Quand tu es venu t'annoncer (tu diffères seulement de 11 mois de Roland) j'étais amusée qu'il y avait un petit être tellement désireux de venir chez nous qu'il en profitait aussitôt. – J'ai souvent rouspété contre vous quand vous étiez plus grands, mais j'étais heureuse quand je vous portais en moi, tout le temps. Et quand je rouspétais c'était par faiblesse de forces, par impuissance de pouvoir faire comme je voulais. Enfin, tout ça c'est passé. J'espère bien pouvoir vous montrer tout l'amour dont ma mère à moi m'inondait, un amour qui ne peut pas appauvrir le mari, bien sûr!!!

Ce papier s'appelle "Fontainebleau"! Doudie me l'a acheté. Le blason de F., la salamandre couronnée, est celui de François premier dit Thys, comme l'abeille de Napoleon. C'est l'emblème que je devais dire. – Le copain d'Ossun t'écrit encore? Et les autres? Tu recevras les colis de la mairie. N'oublie pas d'écrire à Mme Bricout <Soigne ton orthographe dans cette lettre!> en remerciant toutes les bonnes dames tricoteuses de Louveciennes! Peut-on t'envoyer des paquets à l'hôpital? Dis-nous ce que tu veux. Huile de foie de morue tu l'achèteras là bien sûr. Mais du sucre par exemple et du Ricqlès enfin, dis-le. Demain nous expédierons le couteau-rasoir, etc. à Roland dont ce matin une lettre et une carte. Devenu officiellement français, il ne resteras pas, pense-t-il. Il te l'a écrit peut-être. Eh! bien mon petit chéri, nourris-toi bien, spirituellement et corporellement, trouve l'équilibre et tout ira! Dis merci à tous qui sont gentils peur toi, ils sont nos amis inconnus par le bien qu'ils te font! Je ne sais si les autres t'écrivent aujourd'hui. Boulicot est ridicule et effrayant: il fait sa cour à la petite noire, ma fifi à moi, c'est du beau!! Des fois il se trompe avec Mémère et est dûment giflé, d'importance je t'assure.

Bons baisers de tous!

Fofo

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA