MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19670215 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

Parijs, 15-24 februari 1967

15 Février 1967

Cher Miaw, Chère Théa,

Chère Odile,

Perdu parmi les jours sombres de cet hiver voici comme par hasard un clair matin qui chante. Si ému, si heureux, de cette musique si inaccoutumée, je ne puis faire autrement que de vous en transmettre l'écho, pour bien marquer ce jour, ainsi que dans ma grisaille il a été marqué.

Sur le chemin de l'école à Montreuil, nous nous sommes arrêtés à l'église sur le plateau et nous avons prié pour Fofo et je l'ai remerciée pour ce bonheur retrouvé.

Le temps vient de s'adoucir. Le printemps commencerait-il déjà? Les bourgeons se montrent.

Je pense bien à vous et vous imagine à Laren, en espérant le mieux pour vous tous.

Je vous embrasse bien fort tous trois

Donald.

Paris le 24 Février 1967

Cher Miaw, Chère Théa,

Chère Odile,

Le jour où j'écrivais le petit mot ci-contre, je recevais ta lettre, Théa, dont je fus bien content et qui me rappelait le plaisir que j'ai eu à recevoir le Sonorum Speculum sur Thys. Plaisir que je n'avais pas pensé à te confier ni même à t'en remercier. C'était pourtant aussi dans cette grisaille dont je parle, une petite lumière qui vous réchauffe le cœur! En effet d'après la traduction que j'en ai fait, je retrouvai dans la conception philosophique de l'univers de Thys le souci, l'idéal que je m'étais forgé lorsque par exemple je dirigeais mes jeunes gens à Neufchâteau. Dans ce groupe d'aspirations si diverses j'essayai d'entendre toutes les voix, de laisser à chacune sa valeur et lorsque j'étais parvenu à les suivre toutes, à les concilier j'avais l'immense satisfaction "d'entendre" un ensemble, "de discerner" un tout invisible, de "palper" quelque chose d'impalpable.

Rares moments qui demandent beaucoup de patience, d'amour. Dans ce petit monde je faisais régner ce concept si difficile à atteindre. J'avais, à cette époque, eu recours à l'Aventure comme instrument direct, mais ma façon de me comporter ne réalisait pas de règles établies à l'avance, sautait plutôt d'impulsions. Il y fallait une grande part de fantaisie, de réponses rapides à l'intuition. C'est ce bel univers qui m'est revenu en mémoire dans les dernières lignes de l'article où l'orchestre est comparé à la société. Cet accord sur ce point me rendit un peu de la vibration dont je manquais et il était vraiment injuste que je ne le mentionne pas aussi ai-je mis ma lettre en attente pour y joindre celle-là. Le travail et mon manque d'énergie m'ont repoussé jusqu'à aujourd'hui.

C'est gentil aussi Théa de t'inquiéter de notre déménagement. La date a l'air de s'en rapprocher avec beaucoup de rapidité et comme j'ai très mal travaillé cet hiver nous ne sommes guère en état de déménager. Mes affaires n'ont pas bien marché et j'ai eu une période de dépression un peu avant Noël dont je suis seulement sorti la semaine dernière. L'histoire de mon beau-frère le masseur de 51 ans cloué sur place par un infarctus m'a beaucoup plus impressionné que je n'aurais voulu. Il est rentré de l'hôpital mais a eu une rechute après une semaine et ça ne va pas très fort –

Enfin pour ce qui est de notre prochaine installation nous nous en remettons à la grâce de Dieu. Ce qui n'est pas une vaine expression. Il est des périodes où l'on réalise mieux que jamais que tout est en Sa main. Ainsi je viens de travailler pour un brave et vieux Monsieur de 83 ans. J'avais un poste d'eau à lui installer dans les WC au 2 étage. Comme je lui étais sympathique et que le travail lui a plu il m'a demandé de faire une installation au 6e étage dans la chambre de sa bonne. Pour ce faire il m'a avancé la moitié de la somme convenue c'est à dire 45.000 anciens francs, ce qui est très gentil de sa part. Maintenant que le travail est fini je viens de me présenter pour recevoir l'autre moitié. J'ai oublié de vous dire que c'est un grand malade. Dans un souffle il vient de me dire qu'il a eu en cette nuit la crise la plus violente depuis les quatorze mois qu'il est malade. Alors je m'inquiète un peu de lui savoir de quoi il souffre, je n'avais jamais osé lu demander.

"Un infarctus du myocarde" me dit-il – et il me demande de repasser dans deux heures quand il sera mieux pour me donner mon chèque. Il n'a jamais d'argent à la maison il ne fait que des chèques. Bien sûr je n'insiste pas et me retire. Mais une fois sur le palier de l'immeuble cossu de l'Avenue Wagram je ne puis m'empêcher de voir cette signature fragile tenir à un cheveu. Et dans l'état où nous sommes cela nous toucherait beaucoup. C'est bête d'avoir des pensées pareilles, mais j'ai considéré ce brave homme, de qui j'ai reçu le premier travail après ma dépression comme un tremplin inespéré et me voici suspendu. C'est grâce à lui que je peux vous écrire un peu plus longuement, car je n'avais rien d'autre dans le quartier à faire.

Oui, donc je travaille indépendamment je ne réussis plus à travailler pour les autres en tant que patrons fixes. Ce qu'il y a de difficile dans cette nouvelle situation c'est de se faire connaître et je n'ai pas encore pu mettre beaucoup de moyens en œuvre pour cela. Je cherche un moyen de le faire, d'entrer en contact avec le client et cela directement c'est à dire sans intermédiaires comme jusqu'à présent. Cela nécessite une position d'esprit dans laquelle je n'arrive pas à me mettre en permanence – Je n'ai jamais eu beaucoup d'amis, très peu même, pas du tout peut-être, et dans cette position "indépendante" on ne peut pas être "indépendant"! Les gens s'attachent pourtant bien à moi et en général je leur plais. Et quand je me suis mis dans la tête de "lier" j'y arrive facilement. Seulement dans une période comme celle que je viens de passer je ne cherche qu'à m'enfermer à rompre. Ce qui est catastrophique. Malgré les efforts que je peux fournir je ne suis pas dans la "veine", je veux dire dans le courant. Je vais tout de même essayer de poursuivre dans cette voie.

Entre-temps je suis allé revoir mon grand malade qui est un fantôme de Guadet s'intéressant à moi. Il m'a donné le chèque et entretenu de travaux qui pour moi sont grandioses et que je vais m'appliquer à avoir l'audace de réaliser. Si j'y arrive j'aurais fait un bond prodigieux. Cet homme à 83 ans administre maints affaires à plusieurs immeubles dont une propriété à Amiens sur Oise qu'il veut équiper en logements confortables – Il louerait 2 étages pour subvenir aux besoins de ses "vieux jours"! Je trouve ça formidable de recevoir du travail de cet homme qui a à peine encore le souffle et qui organise encore à ce point! Quelle leçon à en tirer!

Alors voilà mon travail: monter mes petites caisses à outils au 6ème par de tout petits escaliers de service pour apporter un peu de confort à des gens qui vivent encore plus pauvres que moi. Je me croyais pauvre et délaissé. Je viens de voir plus pauvre encore et plus délaissé et ce contraste me redonne à espérer.

Le beau temps s'est réinstallé et sur Paris le soleil resplendit.

Je souhaite la même chose sur Laren et vous embrasse

Donald

P.S. Janine est bien marrie de n'avoir pas participé aux vœux mais elle pense le faire encore.

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA