MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19641201 Roland Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Roland Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

Angers, 1 december 1964

68 chemin de l'Isoret

Angers

(M et L)

Mardi 1er Décembre 1964

Mon cher Theys,

Mes chères Théa et Odile,

Merci de tout coeur de ta gentille et si longue lettre à l'occasion de mon 44e anniversaire. J'ai d'autant mieux apprécié, goûté, cette lettre car ce fut la seule de toute cette année qui déjà s'envole. Un reproche? Certes non, car c'est déjà superbe comme cela: Je pense aux soucis que t'a causé la santé de Théa et puis à ce travail assidu que tu fournis encore chaque jour et si je ne peux te suivre par tes lettres, du moins par la pensée je t'imagine. D'ailleurs est-ce si difficile de t'imaginer au boulot, de te penser vivre? Il suffit de se rappeler Louveciennes, Bas-Prunay, cette dépense à la fois physique et intellectuelle que tu fournissais chaque jour et qui chaque jour était à refaire. Tu vas me dire, c'est ce que tous font, moi le premier. Bien sûr l'homme ne saurait faire autrement, c'est sa vocation. Encore faut-il qu'il en ait le courage, ce qui n'est pas égal pour tous.

Nous avons été heureux de lire que Théa va mieux et qu'il n'y a pas trop d'inquiétude à avoir. A ne pas vous lire, je pensais bien que quelque chose ne devait pas aller pour le mieux. Je sais hélas, par expérience combien une santé est fragile et combien il faut d'effort et de courage pour surmonter et la douleur et l'impression d'être inutile quand on ne peut rien faire. Marcelle en est le vivant exemple et si sa guérison est si lente, si les progrès dans sa marche sont si peu visibles, c'est que Marcelle veut contre toute logique, faire ce que normalement elle ferait si elle était en parfaite santé. J'ai beau la conseiller, c'est dur de ne rien faire, surtout avec 4 enfants, une maison à entretenir et ce désir que tout continue comme avant.

Depuis ma lettre de Septembre que j'ai écrite pendant les vacances, j'ai retrouvé mon travail, mes habitudes de chaque jour avec une situation encore meilleure, ayant certes des responsabilités plus grandes mais un salaire plus élevé. En effet, mon "patron" que je sers depuis cinq années consécutives m'a comme on dit "revalorisé". Je travaille moins en gagnant autant. Ce qui améliore notre vie qui n'était déjà pas mauvaise. Lorsque j'ai entrepris la construction de notre maison avec l'achat du terrain et tout le reste, j'avoue franchement que je ne savais pas trop où j'allais, n'ayant pas un piètre sous d'avance. Mais j'ai travaillé d'arrache-pied j'ai fait ce redressement financier et je dois ajouter pour la justice que Marcelle a été la principale à m'y aider car c'est elle qui a la lourde charge d'équilibrer le budget familiale, moi-même ne réglant que les comptes de la construction. Eh bien aujourd'hui nous respirons mieux. C'est encore lourd mais c'est vivable, même avec les frais occasionnés pour l'éducation des enfants et dans 3 ans ça ira encore mieux. Ce qui est certain - c'est que ce que j'ai réalisé il y a 3 ans, serait impossible à faire aujourd'hui car le coût des terrains et de la construction a presque doublé. "Petit à petit l'oiseau fait son nid" c'est vrai et le nôtre est très agréable d'autant plus que depuis 1 mois nous avons la Télévision qui apporte beaucoup de bonnes choses.

Mon cher Theys, je n'ai pas encore de tourne-disque mais un grand ami, mélomane en plus en a un et c'est avec une grande joie que j'écouterai le ou les disques que tu me donneras. Et puis un tourne-disque il y en aura sûrement un, un jour car c'est le rêve de Marie-France depuis longtemps, d'en posséder un. Donc tu peux m'envoyer ce qui te fera plaisir, tout le plaisir sera pour nous.

Nous nous réjouissons de voir Odile se développer dans tous les domaines, aussi bien. Nous aimerions bien la recevoir un jour parmi nous et nous songeons par exemple à la Communion de Marc qui doit avoir lieu au printemps 1966. Si Anny vient peut-être amènera-t-elle Odile et nous envisagerions d'aller les reconduire en Hollande. Mais d'ici là.... attendons..... Mais cela viendra vite. Cela veut-il dire qu'il nous faudra attendre deux années encore avant de nous revoir? Je n'ose encore former le projet d'un voyage si loin en 1965, mais dès que ce sera possible nous le ferons mais notre projet est lié à celui du changement de notre voiture qui prenant elle aussi de l'âge devrait bien prendre sa retraite.

Si Odile s'épanouit dans un bel équilibre, nos enfants cherchent encore le leur aussi bien Marie France que Philippe. Les études ne sont pas mauvaises mais pourraient être meilleures et pour Marie France le but approche. Quant à Philippe un premier brevet a passé cette année et le baccalauréat dans 3 ans. Ils sont tous deux très sûrs d'eux et quelquefois on trébuche.

Je retrouve chez nos enfants ce que tu m'écris sur Odile concernant le jugement. Quelqu'un a dit "cette jeunesse est impitoyable" cela reste vrai de nos jours. La précocité est le trait dominant dans tous les domaines et quoi faire sinon de la constater, c'est dans l'air, c'est magnifique, vouloir aller contre c'est aller vers des heurts irréparables. Nous sommes souvent dépassés. On voudrait courir, rattraper, hélas à la vitesse d'aujourd'hui c'est une course perdue d'avance. Abdiquer alors? certes non. Jouer le jeu, le plus souvent, mais ne jamais se croire battu et encore moins le montrer si cela était et cela est hélas, souvent. Dans le fond, ce n'est pas mauvais que notre jeunesse essaie de se hisser et de dépasser les aînés car l'avenir est à eux et que sera-t-il. Il faudra être d'acier et aimer la lutte. Et quelle lutte les attend dans cette folie collective et hystérique. Ce sera terrible cet affrontement de l'homme contre l'homme. La Guerre? bien pire que cela, quand tout se bouleversera, rien ne devra rester, tout devra être détruit. C'est le jeu de l'enfant de casser ses jouets, cela reste le jeu de l'homme adulte. Pourquoi? il ne le sait même pas. Et on lui apprend l'amour, partout, et voilà ce qu'il fait de l'amour.

Je m'arrête. Je vous souhaite un joyeux et intime Noël et aussi, déjà, mais sûrement une bonne, heureuse, douce année et puis pour Théa nos vœux les meilleurs de guérison, du courage et toutes nos prières de nous six avec de gros baisers de tous à vous.

J'écrirai à Anny. J'ai reçu une gentille carte.

Roland

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA