MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19640610 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

Parijs, 10 juni 1964

Paris le 10/6/64

Cher Miaw, chère Théa

Chère Odile,

Un mot rapide pour vous remercier de vos nouvelles et surtout pour ta bonne lettre de vœux qui apporte en somme de bonnes nouvelles. Je me suis réjoui à revoir ton écriture, Miaw, et j'ai eu tout de même un peu de nostalgie à l'idée d'avoir laissé passer les auditions tant attendues. Le souvenir de la seconde symphonie est tellement vivant et vivifiant en moi que je regrette de n'avoir pu entendre ces dernières exécutions. Je suis bien que tu penses que j'ai le temps. Si je savais en avoir, j'irais à pied à Amsterdam pour me trouver au jour dit à l'exécution de la seconde, pour revivre ce jour de Juillet. Que je comprends ce que tu as pu endurer pendant ces cinquante ans. L'énormité même de ce châtiment me force à penser à l'immense clémence que tu as méritée en le supportant si bien.

Je ne peux que t'embrasser tendrement en te disant "Courage tiens le coup, toujours".

A la maison cela va. Janine a repris du travail dans un dispensaire de religieuses ST Vincent de Paul où les enfants vont à l'école. Elle se plaît et sa santé est meilleure. Au 15 juillet elle s'arrêtera jusqu'au 15 septembre − mes vacances sont au mois d'août. Les nouvelles d'Odile m'ont bien fait plaisir et Dominique et Josquin ont ouvert de grands yeux à l'annonce de la taille de Mademoiselle!

Pour ma part je fais toujours ma plomberie pharmaceutique: j'ai un petit réduit à la cave 3m x 1m50 pour me retourner là ai-je vous écrit en ce moment. Un bruit ininterrompu de source coule dans les énormes tuyaux qui traversent mon antre. C'est un pas vers les entrailles de la terre... un son d'éternité qui résonne sans fin, à la façon de ma descente qui chantait dans la nuit de la rue Nollet.

Cabri est parti avec un baiser sur le front en remerciement de tous les services rendus. Pour l'instant je vais à pied ce qui me permet de lire dans mes déplacements. Je suis tombé sur un livre introduisant à la pensée et à la vie de Teilhard de Chardin. Merci à toi Miaw de m'avoir écrit un jour sur lui. Au fait que m'avais-tu écrit? Je me suis senti attiré par ce livre par son intermédiaire, et je l'ai aimé. Lui, le Père Teilhard. Et à travers ses écrits, mon amour pour le Christ ne s'est plus senti freiné, j'avais trouvé cette liaison, cette voix qui me reliait au culte séculier que Janine m'avait fait connaître, aimer, partager mais dont me séparait un écran infranchissable. L'écran de l'Aventure. Mais maintenant c'est fini. J'ai entendu une seule voix qui m'a permis de le franchir. L'Aventure continue à croître en moi, à vivre et mon âme se tourne avec paix vers le culte catholique. Il y a longtemps que j'attendais cette heureuse union. Elle est arrivée sans crier gare au hasard d'un jour où je cherchais un livre, n'importe quel livre, pour meubler mes heures de voyage. Le nom de Teilhard de Chardin était resté gravé par ta plume en moi. Que je suis heureux de l'avoir trouvé. Combien je comprends en effet ton regret de n'avoir pu l'avoir comme lecteur.

Ce que je rêve depuis quelques années à l'air d'être en voie de se réaliser. J'ai rendez-vous la semaine prochaine le 13 juin avec un employé de Mme Lacoste pour entrer en possession des quelques quinze cents exemplaires de l'Aventure qui restent. Cela c'est fait assez bizarrement. Mme Lacoste ne s'occupe plus beaucoup d'édition, parait-il. Elle a fondé un club de solitaires qui lui rapporte sans doute plus. Toujours est-il que pour avoir l'Aventure il m'a fallu aller des fois répétées à ce club sans jamais rien obtenir. J'en voulais 10. Depuis décembre je ne les ai pas encore. Je voulais les offrir aux étrennes à mes directeurs du Laboratoire. Bref à la dernière entrevue l'homme de confiance m'a proposé de les prendre tous. Il avait l'air de dire que ça ne me coûterait rien, que c'était le droit de l'auteur de reprendre ses livres, quoique connaissant le contrat je n'ai rien précisé, laissant venir. J'ai l'impression que ces livres prennent chez eux surtout de la place et qu'ils seraient bien contents de s'en débarrasser. Je pense que tu serais d'accord. Il semble en effet qu'il n'y a plus rien à attendre de l'éditeur pour ce qui est de la vente. Et c'est de cela que je veux me charger. C'est cela que j'attends. Je voudrais tant t'envoyer le fruit de ce livre.

Maintenant une autre question. Il y a longtemps aussi que me démange l'envie de passer une après-midi et une matinée avec vous pour vous amener, avec Janine, Dominique et clarisse, Josquin et Norbert. Est-ce qu'il est possible de convenir d'un jour ou dois-je débarquer à l'improviste? Il n'est pas question bien sûr de vous imposer un surcroît de quoique ce soit bien sûr. Vous ne vous occupez de rien, nous sommes assez grands pour nous débrouiller. Nous venons simplement vous voir ou vous revoir. J'imagine que le mieux serait une fin d'après-midi de samedi et le dimanche. C'est tout ce que je te demande. Quand cela se fera-t-il? il faut tenir compte aussi des possibilités de Clarisse et Norbert et de la date de leurs examens. Clarisse passe sa 1ère partie de bac et Norbert son brevet. Donc après les examens pour les récompenser de leur succès.

Je vais m'informer de la date exacte et de leur "disponibilité" familiale et vous proposerai le jour. J'aimerais bien sûr qu'Odile et Anny soient là. A quelle date Odile part-elle en vacances?

Allons Miaw ce sera encore une corvée pour toi mais ne devons nous pas cela à notre progéniture? Si plus tard ils pensent à leurs grands-parents, ils auront l'immense bonheur d'accrocher ces pensées à des images d'autant plus belles qu'elles seront éloignées. Tant que nous pouvons créer la magie des images, faisons le elle vaut la magie des sons. Je pense fréquemment à mon grand-père forgeron, je l'imagine, le son d'une enclume me le rappelle, mais l'image elle-même me manque et je ne suis pas sûr que cela ne lui manque pas à lui aussi.

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA