Matthijs Vermeulen
aan
Donald en Janine Van der Meulen
Laren, 28 november 1962
Laren (N.H.)
le 28 nov. 1962
Drift 45
Mon cher Donald, Chère Janine, Chers enfants,
J'ai décidé de m'octroyer quelques journées de vacances, et voici la deuxième. Hier j'ai écrit à Roland pour son anniversaire. Si tout s'est passé bien, il doit être en train d'emménager dans la maison qu'il s'est fait construire. Et cela me porte naturellement vers toi, Donald, à ta lettre du 15.X., où tu me parlais de ton aventure − imaginaire − en haute mer démontée, sur une frêle barque. Je n'y ai pas entendu beaucoup (comment s'est arrivé) mais j'ai compris quand même. Je le savais déjà. Il ne me manquait que les détails. Le "comment". Cela me paraît loin, très loin, le mi-octobre. J'avais terminé mes trois poèmes, que j'ai mis en musique, à la fin septembre. Ça me semble un siècle. Figure-toi, lorsque je voulais commencer à les écrire au net je me sentais saisi par une véritable phobie de l'écriture au net, encore cent fois plus forte que lors de ma sixième symphonie et de mon quatuor à cordes, quand j'ai éprouvé les symptômes de cette singulière maladie pour les premières fois. Quand je prends une plume, quand j'ouvre l'encrier tout mon corps a l'air de se raidir et refuse de faire les mouvements nécessaires. Il ne veut pas! Les deux fois précédentes j'ai encore réussi à me contraindre. Tu te souviens que je t'ai demandé des plumes sergeant-major? C'était d'un navire en détresse! Cette fois-ci j'ai été obligé à quitter la plume. Défaite difficilement acceptable. J'ai pris ce crayon. Le "technograph micronisé" Caran d'Ache. Mais même au crayon cela m'a donné un mal considérable et tellement lassant qu'ayant encore deux pages à faire, j'ai voulu penser que c'était plus sensé de me laisser quelques jours tranquille. Et je m'en trouve bien content. Mais pour m'expliquer le mécanisme de cette frousse (car c'est vraiment une frousse tout à fait ordinaire) je ne vois pas de moyen.
En ce qui concerne L'Aventure de l'Esprit, ne t'en fais pas, mon brave Donald. Le miracle est possible, là, mais pas encore. Si tu étais tombé sur un homme qui aurait dit "c'est un livre, un LIVRE", et qui aurait tiré les conséquences de son dire, et si cet homme avait eu quelque poids, le miracle se serait fait. Moi-même je suis tombé plusieurs fois sur des types qui me disaient "c'est quelque chose" avec un accent majuscule. Mais jamais sur un type qui tire quelque conséquence de son dire. C'est comme ça puisque c'est comme ça dans notre époque, qui abonde pourtant en emballements de tous les genres! J'aurais bien aimé rendre quelque service à mes contemporains dans les ténèbres. Mais ils sont d'une indifférence! Je m'en console comme je peux. C'est peut-être suffisant que L'Aventure de l'Esprit existe, simplement, et que le signal émis continue sa route et son effet, à l'insu de tout le monde. Cela entre dans les possibilités, et j'y crois, et je m'y fie.
Je suis content que ta sciatique a fini de disparaître. Tu sais la formule "ça passe" vient du père Coué. Dans le temps, il y a trente à quarante ans, lorsque Coué faisait "du bruit", je me suis dit: "attendons pour voir ce qu'il obtient pour lui-même." Il n'a pas fait de vieux os. J'étais encore dans ma période de scepticisme (faute de mieux) et j'ai ri. Bien plus tard, lorsque j'avais besoin d'une certaine force cachée, je me suis souvenu de lui, et je me suis dit: essayons à tout hasard. Cela ne m'a pas réussi tout de suite. Mais tu sais comme je suis têtu. J'ai persévéré. Je me suis appris et habitué à placer la formule sous le signe de l'esprit créateur. Et je ne t'en aurais pas parlé si je n'avais pas eu par expérience multiple l'espoir ferme que cela pourrait être utile à toi aussi. Quant à moi, je me dis la formule de ma voix la plus intérieure, plusieurs fois, puis je fais un intervalle d'oubli, et ensuite, eh bien, c'est passé. En faisant, je dirige en général mon attention intérieure vers l'endroit qui a besoin de mon aide.
En voilà assez pour aujourd'hui .Odile s'est bien remise de son opération et fait de l'excellent travail. Nous avons eu un été peu propice. Pas de soleil, froid et beaucoup d'humidité. Le chauffage a été allumé presque sans discontinuer. Imagine-toi: les châtaigniers ont seulement fleuri fin juillet! Des fleurs énormes, mais pas de châtaignes cette année. Les autres fruits n'ont presque pas de goût. N'importe. On fabrique soi-même du soleil. Et ma foi, cela réussit, assez souvent.
Je t'embrasse, et nous vous embrassons affectueusement et bien solide. A te lire bientôt, j'espère. On vous aime bien.
ton
Miaou
Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA