MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19560920 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen

La Garenne, 9 september 1956

La Garenne, le 20.9.56.

Cher Thys, chère Théa

Chère Odile,

Voilà encore pas mal de jours écoulés où je vous ai laissés sans nouvelles. Janine commence à aller mieux c'est surtout ça que je préférais vous écrire. Après des incidents avec les antibiotiques (pénicilline et autres qui provoquent des réactions chez Janine) un abcès à un sein il semble qu'elle sorte de la mauvaise période. Ses forces reviennent mais elle garde encore souvent le lit.

Quant à Josquin c'est un nourrisson sans histoires qui profite bien. Le lait de vache semble lui réussir. Il grossit régulièrement. C'est qu'il se plaît sans doute dans le lit qu'il a repris de sa sœur auquel j'ai redonné un aspect neuf par une couche de peinture blanche. J'ai cherché aussi au Printemps deux sacs de balle d'avoine, j'ai lavé l'enveloppe du matelas en lui donnant une couleur virginale et avec les deux gros sacs j'ai rempli ce futur matelas en voyant le flot d'or passer dans le trou béant que j'ai patiemment cousu en pensant à Josquin et aux belles heures de repos qu'il lui procurera. Après avoir bien astiqué la maison j'ai ramené au bercail ce fiston que nous chérissons déjà – Janine fut transportée en brancard, qui se termina en chaise dans notre étroit escalier (qui pourtant fait bien trois fois le vôtre!). Et depuis tous les soins toutes les courses pour les médicaments les coups de téléphone, le travail ont tellement occupé les journées que les nouvelles furent rares. J'espère qu'Anny vous en a donné quelques-unes.

Les journées commencent tôt avec le fils. Son grand appétit le réveil vers cinq heures et demie si ce n'est trois heures, appel auquel nous ne faisons pas attention. Mais au deuxième et plus décent appel je le sors du lit et lui donne son biberon de lait agrémenté de miel pour lui faciliter l'expulsion. C'est beau de commencer ainsi sa journée et c'est une occupation apaisante dont je me souviens au fil des heures si tant il en est qui pourrait me faire perdre ma paix.

Elles finissent tard aussi par le lavage des couches autre petite préoccupation que j'affectionne et que j'aime effectuer régulièrement. Vous pouvez vous imaginer que je n'ai guère de loisir pour penser ou faire autre chose. Je tâche de décharger Janine le plus possible en faisant aussi la cuisine. Cependant la mère de Janine est souvent chez nous et Dominique qui commence à trotter l'occupe beaucoup. Et puis malgré le désir de réaliser autre chose il faut bien dire que je suis dans un mauvais mois. Septembre a l'air de me travailler aussi. J'ai souvenir d'une révolution que j'ai faite chez Poliet et Chausson en ce mois... C'est un peu ce dont j'ai envie en ce moment. C'est très désagréable du tout quand on se sent bon à rien. Ceci explique un peu que sans oublier la "question du bottin" je n'ai pas été fichu de la résoudre. C'est ça aussi qui me turlupine de penser que je suis parmi ceux qui promettent et qui ne tiennent pas. Avoir eu de hâlons dans les roues qui font que ce que vous avez le plus à cœur reste en arrière. Ce n'est pas la première fois bien sûr qu'il faille en mettre derrière, mais que ce soit à toi Thys que j'ai fait cela je ne peux pas le comprendre. Je sais combien les gens qui te promettent et n'agissent pas te dégoûtent. Je suis pourtant obligé de reconnaître qu'après ce magnifique voyage auquel je souhaitais de si beaux lendemains je suis tombé dans une espèce de paralysie peu commune.

Après avoir rêvé les plus beaux profits que m'avait apporté ce voyage je n'ai été capable de ne rien matérialiser. Pourtant les signes d'une clémence exceptionnelle de la Vie auraient dû me stimuler dans la poursuite de ces rêves. Au retour de ce voyage merveilleux je me sentais porteur d'un message. Je désirais le communiquer à tous mes frères. Il y avait dans cette journée tant de grandeur vécue qu'elle ne pouvait rester à l'état de jouissance égoïste. Cet envol d'abord dans le soleil levant cette vue si troublante, cette première communion avec l'œil céleste, de la terre de France, de la terre chérie de notre Créateur. Dieu! quelle beauté! O Thys si tu avais pu contempler tous ces champs, ces prairies, ces forêts tu aurais certainement aussi pleuré avec moi. Que je souhaite que tu connaisses cette même extase! Et puis ce même jour avoir entendu ta symphonie – Avoir réalisé, touché oserais-je dire, ce que depuis si longtemps, je pensais pressentir de toi. Réaliser, toucher aussi ce que cela signifie pour tous les hommes. Est-ce d'être monté si haut que j'ai perdu l'équilibre peu de temps après? Je ne cesse de me répéter que je suis unique d'avoir eu un sort si beau. Je chercherai pourtant à réparer cette défection et avec de la patience je ne désespère pas d'y arriver.

Ce n'est pas sans émotion que j'ai réalisé un rêve, un de ces rêves secrets, en osant après toi, Thys, donner le nom de Josquin à de nouveaux traits humains. C'est un geste d'amour pour mon frère, une pensée née en un éclair pendant mon travail, je me souviens encore exactement l'endroit, la scène où elle se déroula il y a quelques mois au cours d'un après-midi chez Berliet. Le pendule qui avait eu raison la première fois avait annoncé une fille. Nous étions tous dans l'attente d'une fille. Et cet après-midi-là l'idée me vint, le vœu de l'appeler Josquin si par hasard ce serait un garçon. L'apparition d'une fille me choquait d'avance dans mon souci de symétrie innée. J'en parlais donc le soir même à Janine à qui l'idée ne déplu pas. Des semaines passèrent sans que nous reparlâmes. Le matin du 20 août dans ma baignoire une secrète illumination de joie me traversa à la pensée que ça pouvait être tout de même un garçon. J'étais à une heure de savoir le vrai – A mon arrivée l'opération était terminée et une infirmière m'appris que j'avais un "gros garçon". Quand Janine reprît un peu ses sens je lui demandai si elle voulait bien qu'on l'appelait Josquin. Ce nom lui sonnait gentiment à l'oreille mais elle s'était tellement habituée à Manuel. Pourtant elle ne savait lequel choisir. Et moi je ne l'influençais pas dans mon ignorance si j'avais le droit d'oser. Prononcer ce nom en pensant à un nouvel être me semblait étrange.

Je résolus la question en proposant d'accepter la décision de l'officier d'état civil – qui vraisemblablement devait se prononcer contre. Je portais la question à la mairie de Neuilly avec Dominique dans un bras. Je remplis la première fiche portant Josquin. L'employée consulte son dictionnaire et me dit qu'à son regret ce nom ne figure pas dans sa liste. Je dis y tenir en souvenir de l'oncle de l'enfant mort pour la France en 1944, qui s'appelait ainsi. L'employée me pria d'attendre et alla chercher son chef. Quelques moments se passèrent et la négation revint comme de bien attendue. Deuxième employée deuxième négation mais on me demande de bien vouloir aller convaincre le chef. Dominique sur le bras je traverse alors les bureaux et arrive à une forte matrone qui me fixe derrière ses lunettes. A l'énoncé de ma prière ardente et sincèrement émue au rappel de la prestigieuse figure qui porta ce nom elle autorisa de coucher le nom de Josquin sur le grand livre suivi cependant d'un deuxième permettant la distinction entre l'oncle et le neveu: ce fut Manuel.

J'eus conscience d'avoir défendu gros mais d'une façon si spontanément prompte mais humble et sincère que je savourais ma victoire. Ce n'est pas d'hier que je place très haut toutes les autorités qui ont de grandes livres (et elles en ont toutes) et d'avoir pu les fléchir m'est une augure harmonieuse.

Il faut penser aussi à la façon dont Josquin vint au monde. Un médecin nous disait il y a quelques jours que ce cas il y a trente ans se résumait à l'emploi de grand ciseau recourbé pour délivrer la mère sans qu'elle eût la joie de donner la vie. Je passe sur les détails affreux qu'un médecin vous dit froidement et que je ne saurais écrire. Il y a donc des hommes qui sont parvenus à éviter ces atrocités. Qu'ils nous fassent pardonner les blessures atroces des autres!

L'homme qui a sauvé Josquin s'appelle Michel Lanvin le neveu de Jeanne Lanvin. C'est un homme très sympathique, franc, direct. D'une quarantaine. Il était assisté de sa femme. Il adressa un remerciement à haute voix ou plutôt ses paroles furent: "Merci d'avoir choisi cette solution!" quand il découvrit à l'intérieur du ballonnet rose que trois fois autour du cou le cordon s'était enroulé. Une tentative de forcer l'accouchement – comme cela se fait si souvent, eût été la perte de l'enfant.

Quoiqu'on en dise la césarienne a été très douloureuse pour Janine. Le réveil après l'opération fut très dure. Les reins, le ventre, le dos tout lui était meurtri de part la position presque verticale tête en bas que doit prendre le patient. Je garderai toujours le souvenir de ce mois d'août si pénible par ces souffrances. Janine préfère de beaucoup l'accouchement normal même douloureux. Il serait plus juste de dire qu'elle ne veut plus en entendre parler... et moi non plus. Maintenant nous nous réjouissons d'avoir un couple mignon avec nous, bien partagé et nous n'en voulons pas plus.

J'arrêterai cette lettre là pour que vous l'ayez encore cette semaine car il est bien temps que (vous) sachiez comment ça va. Je pense souvent à vous et au home que vous cherchez. Est-ce en bonne voie? Je vous embrasse bien fort tous et particulièrement ma petite Odile que je remercie beaucoup pour ses vœux.

Donald

Miaw je t'embrasse et pense que tu es d'accord bien que je ne t'ai pas demandé la permission pour Josquin? n'est-ce pas?

... Sur les berges de la Seine ont refleuri les gerbes d'or...

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA